Qui a pris le pouvoir de décision sur les écoles?
Les conséquences sont désastreuses. Carl Bossard appelle à un changement.
par Beat Schaller, Sichtweisenschweiz.ch
(12 décembre 2025) Ce qui est enseigné à l'école et la manière dont cet enseignement à lieu sont désormais déterminés par un petit cercle éducatif: bureaucratiquement cloisonné, académiquement déconnecté et largement détaché de la réalité scolaire.
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Les conséquences sont désastreuses tant pour les enseignants et les élèves que pour les parents, l'économie et la société.
Dans cette interview passionnante, Carl Bossard** décrit avec perspicacité, expertise et cohérence ce qui est nécessaire, ce qui fonctionne et comment opérer le tournant pédagogique pour les écoles du XXIe siècle.
Sichtweisenschweiz.ch: Vous vivez à Stans, dans le canton de Nidwald, là où le grand pédagogue suisse Johann Heinrich Pestalozzi a exercé son activité en 1798/1799. Tout comme nous, Pestalozzi a vécu une époque mouvementée. Selon vous, que peut apporter Pestalozzi à l'école d'aujourd'hui?
Carl Bossard: Beaucoup d'éléments du quotidien pédagogique peuvent être réduits à trois points ou divisés en trois. Nous le savons par exemple grâce au triangle pédagogique qui réunit l'enseignant, les jeunes et les matières enseignées. C'est dans ce triangle que se déroulent les processus d'apprentissage cognitifs et sociaux des jeunes: une triade.
Johann Heinrich Pestalozzi l'a démontré avec son triptyque pédagogique tête – cœur – main. Il savait à quel point l'éducation est importante pour les jeunes et qu'il faut tout développer en même temps: les sentiments dans le cœur, la perspicacité dans la tête et la dextérité de la main agile. Il l'a compris, l'a enseigné et souvent, il a échoué dans la pratique. Mais il s’y est essayé avec une passion animée. C'est pourquoi il a eu un impact sur les enfants. Sa touchante «Lettre de Stans»1 de 1799 en témoigne éloquemment.
Comme l'enseignait Pestalozzi, ce qui importe, ce sont les «trois grands G»: «Grundwissen, Grundfertigkeiten, Grundhaltungen», donc les connaissances de base, les compétences de base, les attitudes de base. Une triade pédagogique et didactique qui ne peut vieillir, car elle représente en quelque sorte le NON PLUS ULTRA.
Nos enfants doivent savoir des choses, ils doivent savoir faire des choses, et les deux ensemble doivent leur permettre de mieux penser et agir.
Ce n’ait qu’ainsi, à travers les microprocessus de l'apprentissage, que naît ce qui est fondamental – et, à l'ère des fake news, de l'IA et du Chat-GPT, tout simplement indispensable: l'éducation à l’«incorruptibilité». C'est ainsi que l'a formulé le philosophe allemand Hans Blumenberg. Mais cela suppose des compétences de base élémentaires telles que la capacité de lire et de réfléchir. Elles sont le résultat d'un apprentissage systématique et d'un travail créatif. Tel doit être l'objectif de l'école.
Et il y a autre chose qui me semble très important et d'actualité. Pestalozzi a été l'un des premiers à s'éloigner de l'apprentissage individuel et à introduire l'enseignement commun. Jusqu'alors, chaque enfant apprenait en quelque sorte pour lui-même et avec ses propres outils. Apprendre ensemble pour un monde commun: quelque chose de révolutionnaire! Aujourd'hui, nous avons tendance à dissoudre à nouveau la communauté de classe par le biais de l'apprentissage individualisé. Et si l'on en croit la Fondation Bertelsmann et les groupes informatiques, à l'avenir, chaque élève apprendra pour lui-même, chacun seul, tous isolés et avec des appareils numériques dans leurs propres boîtes d'apprentissage. La classe en tant qu'espace social n'existera plus. Une réforme problématique!
De nos jours, les prophètes et les révolutionnaires de l’enseignement assimilent-ils l'éducation à la réforme? Que veulent-ils dire par là?
Il faut que tout soit «nouveau» et innovant. Presque tout ce qui se respecte est déclaré «nouveau». Cela suscite des applaudissements et l'acceptation. Pour beaucoup, le «nouveau» est déjà considéré comme meilleur et, par définition, supérieur à l'«ancien». Cela se comprend: personne ne veut être considéré comme démodé. La pédagogie y est particulièrement sensible, tout comme la politique éducative, par crainte de ne plus être en phase avec son temps.
réfléchis de notre époque. (Photo mad)
On oublie donc les constantes anthropologiques, on ignore ce qui est toujours valable – parce que nous sommes des êtres humains.
L'évolution humaine n'est pas synonyme d'innovation technique. Mais c'est pourtant ce qui se passe. Et là où l'on ne réfléchit plus, on anticipe – avec de nouveaux concepts et slogans: «nouvel apprentissage» par exemple, ou «nouvelle culture d'apprentissage», ou encore «nouvelle autorité».
La cascade de réformes de ces dernières années a également fait oublier ce que le philosophe et pédagogue Eduard Spranger a appelé la «loi des effets secondaires involontaires». Je cite un exemple: lorsque nous élargissons quelque chose, le vecteur opposé, la pratique, est minimisé: nous avons élargi les contenus enseignés à l'école primaire en introduisant l'apprentissage précoce des langues étrangères. En contrepartie, le temps consacré à la consolidation, à l'automatisation et à la mise en pratique est réduit et minimisé.
Nous ne pouvons pas maximiser les deux vecteurs en même temps: étendre les contenus et, dans le même temps, élargir la pratique. C'est la loi de la contrepartie!
Lorsque la nuit s'allonge, le jour recule et raccourcit. Cela n'a rien à voir avec l'idéologie. C'est simplement une question de calcul proportionnel. Les conséquences se traduisent par une baisse des performances scolaires, telles que la compréhension écrite ou l'écriture cohérente. La loi des effets secondaires involontaires!
En ce qui concerne la loi de la contrepartie, un autre chantier s'ouvre: comment les vecteurs entre la famille et l'école, entre l'éducation et l'enseignement, changent-ils et se déplacent-ils? Quelles en sont les conséquences pour l'école primaire?
L'école a aujourd'hui plus de difficultés qu'il y a quelques années. Elle a perdu bon nombre de ses alliés silencieux, ces forces gratuites qui contribuaient autrefois naturellement à son fonctionnement, par exemple le soutien des parents, leur soutien scolaire subsidiaire à la maison. Autrefois, les parents avaient tendance à se ranger du côté des enseignants. Aujourd'hui, c'est souvent différent, avec des conséquences notables sur le quotidien scolaire.
Certains parents éliminent tous les obstacles pour leurs enfants. Tous les enfants n'ont donc plus le droit de ne pas être gâtés. Mais apprendre est fatigant, cela demande de l'engagement et de la persévérance. En ce sens, l'école doit résister, parfois même construire un monde alternatif. Cela a toujours fait partie de sa mission. C'est la résistance qui rend un jeune fort, pas le coton et la laine.
Comme ces forces s'affaiblissent au sein du foyer parental, l'école doit aujourd'hui agir davantage à contre-courant, activer des forces contraires. C'est une tâche exigeante. Dans son ouvrage sur l'éducation, le poète Jean Paul plaide pour que les enfants soient éduqués à contre-courant de l'air du temps, car celui-ci a déjà suffisamment d'influence. Les enfants et les adolescents ont besoin d'une force contraire, d'un soutien personnel, d'une résistance. C'est la seule façon pour eux d'acquérir la maturité et la liberté qui leur sont légitimement exigées, ainsi que la résilience dont on parle si souvent aujourd'hui.
C'est la dialectique de la mission éducative de l'école: aller avec le monde, mais en même temps lui résister.
Alors que d'autres discutent longuement des dérives scolaires, vous éclairez les relations en quelques mots: «Les programmes scolaires s'étoffent, les performances scolaires diminuent.» Qu'est-ce qui se cache derrière cela?
Quiconque s'engage dans le domaine de la pédagogie s'expose à des processus dialectiques et donc à des tensions. Il est toujours pris dans le conflit entre l'idéal et la réalité, par exemple, entre la théorie et la pratique.
A mon avis, le contraire de la théorie n'est pas la pratique, mais l'empirisme, la pratique réfléchie. Il s'agit de l'expérience professionnelle, ce qu'on appelle l'empirisme professionnel.
C'est pourquoi j'ai toujours enseigné moi-même, même en tant que directeur de l'école cantonale de Lucerne ou recteur fondateur de la Haute Ecole pédagogique de Zoug. Je voulais combiner la théorie et l'empirisme dans la vie scolaire quotidienne. Cela me donne le droit de dénoncer les dérives, sur la base d'une bienveillance envers l'institution Ecole, mais avec une intransigeance sur le fond.
«Nous ne nous formons pas seuls et de manière autonome: l'enseignement ne vient pas d'un coach ou d'un accompagnateur d'apprentissage. L'enseignement vient d'un vis-à-vis engagé qui m'inspire, d'un enseignant ou d'une enseignante.»
Carl Bossard, pédagogue
Avec le Plan d’étude 21, les enfants sont réduits à leurs connaissances mesurables: fragmentées, axées sur les compétences, intensives. Qu'est-ce que cela signifie pour l'enfance? Aimeriez-vous être élève aujourd'hui?
Je ne peux pas le dire, car je ne peux pas comparer. Je sais seulement une chose: les tendances à la gestion et au contrôle dans le système éducatif mettent les écoles sous pression, sans pour autant améliorer les résultats scolaires. Cette vision technocratique méconnaît la nature même de l'enseignement.
Et nous ressentons encore autre chose: la société de la connaissance et de l'information risque de perdre toute éducation. De nos jours, l'enseignement est en difficulté. Ce qui est recherché, ce sont des compétences calculables sur le plan professionnel, utilisables sur le plan économique et exploitables sur le plan financier. Le pure calcul de l'utilité domine et dicte sa loi. L'idée d'efficacité économique a supplanté l'idée d'enseignement. Elle est pertinente en tant que facteur économique et «indicateur comptable du capital humain» – parmi les paramètres de maximisation des profits. C'est du moins ce qu'il semble, pour le formuler de manière un peu provocante.
Si l'on en croit l'Association suisse des directeurs d'école (VSLCH), les enseignants ne sont plus des pédagogues, mais seulement des coachs et des accompagnateurs d'apprentissage. Quelles en sont les conséquences?
Hegel a donné une définition succincte de l'éducation, à savoir «se trouver soi-même dans l'autre». Nous ne nous formons pas seuls et de manière autonome. Nous avons besoin d'un interlocuteur présent et dynamique qui nous guide vers nous-mêmes et donc vers la réflexion comme dialogue intérieur entre moi et moi-même. Cela ne vient pas d'un accompagnateur d'apprentissage ou d'un coach qui me distribue des documents de travail, cela vient d'un interlocuteur engagé qui m'inspire, d'un enseignant. Je deviens autonome par l'émancipation.
«Les notes sont en détresse»: faut-il supprimer les notes scolaires, comme le réclament Thomas Minder, de l'Association suisse des directeurs d'école (ASDS), ou Dagmar Rösler, présidente de la Fédération suisse des enseignantes et enseignants (LCH)? Quelle est l'importance des notes?
Les notes (à l'école primaire) sont-elles nécessaires? Il n'est pas facile d'aborder ce sujet, qui est également délicat. Il s'agit d'un terrain miné, qui a tendance à être perçu négativement. Beaucoup souhaitent les supprimer. Les notes ont certes leur utilité, mais elles ont aussi leur valeur. Jeune enseignant, je travaillais dans une école qui pratiquait le système d'évaluation verbale: l'évaluation des performances scolaires avec des mots. J'ai lutté pour trouver une «description» juste. Pendant des heures! – sachant que les mots peuvent blesser; les chiffres sont plus neutres.
Dans un environnement valorisant, dans une atmosphère tolérante à l'égard des erreurs, les notes ne sont pas un problème, d'après mon expérience, mais une aide simple et facile à comprendre; la note apporte de la clarté sur les performances d'apprentissage actuelles. Les enfants veulent savoir où ils en sont. Une note ne peut pas faire plus.
Ce qui est déterminant, c'est le feedback qui favorise l'apprentissage, c'est-à-dire l'articulation de la différence entre l'être et le devoir-être en termes de contenu, de processus et d'autorégulation. Cela fait partie intégrante de la note. Et c'est précisément cela, le feedback sur l'autorégulation, que les apprenants souhaitent le plus. Mais ils le reçoivent très rarement. La recherche le prouve.
Un sujet tabou pour beaucoup: selon l'Office fédéral de la statistique, dont les chiffres proviennent de la période d'enquête 2020–2022, 55,9% des enfants scolarisés âgés de 7 à 14 ans sont issus de l'immigration.2 Comment l'immigration en Suisse influence-t-elle l'enseignement dans les écoles primaires?
C'est un domaine peu étudié. Je ne peux donc pas vous donner de réponse satisfaisante. Une chose est sûre: la langue est l'instrument de la pensée. Il n'est pas acceptable que des enfants issus d'autres cultures soient placés dans une classe sans comprendre la langue allemande. Cela n'aide pas ces enfants et complique en même temps l'enseignement, au détriment de l'ensemble de la classe.
Vous prenez la défense des élèves: «Ce ne sont pas les élèves qui ont désappris à lire, ce sont les réformes qui les en ont systématiquement détournés.» Que voulez-vous dire par là?
La pratique a une connotation négative, en particulier dans les hautes écoles pédagogiques. Or, la recherche sur la mémoire nous apprend que la pratique et la consolidation sont au cœur de l'apprentissage, qu'elles en sont le fondement. Cela vaut particulièrement pour les compétences de base que sont le calcul, la lecture et l'écriture: plus nous avons besoin de quelque chose dans la vie quotidienne et sous pression, plus nous devons nous y exercer intensivement, selon les recherches. En effet: construire par la compréhension, puis consolider par la pratique et l'application. Nous avons négligé cela. Nous en connaissons les conséquences. Les données empiriques le montrent très clairement.
année 2000–2022. (Illustration © Statista 2024: édité par Carl Bossard
[«courbe de Bossard»])
Aujourd'hui, la réforme effrénée semble mener même les réformateurs au bord du gouffre: à l'automne 2025, les hautes écoles pédagogiques se plaignent dans les médias TA3 de la baisse des performances à laquelle leurs idées de réforme ont contribué – et réclament un «plan directeur» pour l'école primaire. Etes-vous d'accord?
Nous n'avons pas besoin d'un nouveau plan directeur, comme le postule un professeur de la HEP Zurich face à la baisse des performances scolaires des élèves en fin de scolarité.
Nous avons besoin d'un tournant pédagogique pour créer une «école pour tous» réellement efficace, gérée de manière intelligente et dotée de processus d'apprentissage efficaces.
L'école retrouverait ainsi sa mission fondamentale, à savoir un apprentissage efficace pour tous. Cela nous évite de «nous précipiter les yeux grands ouverts dans un sérieux problème», comme le met en garde le même spécialiste en sciences de l'éducation dans des termes apocalyptiques.
Les hautes écoles pédagogiques se plaignent soudainement d'une situation qu'elles ont elles-mêmes contribué à créer avec leurs réformes. Mais elles gardent le silence à ce sujet. Cela me semble malhonnête.
Qui détient le pouvoir dans le domaine de l'éducation en Suisse? Qui a de facto le pouvoir de définir ce qui doit être enseigné et comment?
Un petit cercle universitaire issu des hautes écoles pédagogiques a pris le pouvoir de définir les écoles, en collaboration avec une bureaucratie éducative puissante. Ils déterminent ce qui doit être enseigné et surtout comment l'enseigner, souvent contre l'avis des praticiens. Cela signifie une marginalisation de l'expérience pratique.
Les hautes écoles pédagogiques n'ont été créées en Suisse qu'à partir du milieu des années 1990. Comment ont-elles pu s'arroger le pouvoir de définir l'enseignement primaire en l'espace d'une trentaine d'années?
Les hautes écoles pédagogiques ont réussi à échapper au contrôle des directions cantonales de l'éducation. Elles mènent en quelque sorte leur propre vie. Elles s'appuient pour cela sur les décisions de la Conférence suisse des directeurs cantonaux de l'instruction publique (CDIP), souvent déconnectées du travail quotidien sur le terrain. Cela conduit, comme nous l'avons évoqué, à une perte d'importance de la pratique et de l'empirisme.
Vous évoquez vous-même le jeu des sous-systèmes de Luhmann: l'école est soumise à la politique. Où est le problème?
Dans le jeu des sous-systèmes de Luhmann, l'école est soumise à la politique. Elle doit diriger. Mais ces dernières années, l'administration de l'éducation a acquis une influence inattendue grâce à son expansion rapide et vigoureuse. Il n'est donc pas toujours clair qui dirige qui. Officiellement, ce serait la politique éducative!
La primauté de la politique, respectivement de la politique éducative, sur l'école peut-elle être retrouvée dans notre pays? Quels sont les leviers disponibles?
Je ne suis pas en mesure d'apporter une réponse définitive à cette question. Il faut l'espérer.
Dans quelle mesure souhaitez-vous une «Conférence suisse des directeurs cantonaux de l'instruction publique» (CDIP) plus active et plus agile?
Je n'en suis pas si sûr. La fonction des directeurs cantonaux de l'instruction publique n'est pas assez transparente à mes yeux. Quand je vois le temps qu'il a fallu pour que les résultats décevants de l'Evaluation des compétences de base (ÜGK 2023) soient rendus publics. La communication édulcorée, voire euphémique, était plus importante que la transparence rapide et sans concession des résultats!
Deuxième exemple. Le manque de clarté de la CDIP s'est manifesté à la fin de l'automne 2023. Les résultats PISA 2022 ont été publiés. La Finlande, paradis de l'éducation, devançait légèrement la Suisse en sciences naturelles et en lecture.
Le ministre finlandais de l'Education a qualifié les résultats de son pays de «très préoccupants». Il a annoncé des mesures.
Chez nous, la présidente de la Conférence suisse des directeurs cantonaux de l'instruction publique (CDIP) de l'époque, la conseillère d'Etat zurichoise Silvia Steiner, a qualifié ces résultats légèrement moins bons de «bons» à «très bons». Elle a insisté sur la relativité, a souligné les résultats encore plus faibles de pays comparables comme l'Allemagne et s'en est consolée. «Nous sommes au-dessus de la moyenne de l'OCDE!» (sic!), s'est-elle réjouie. Pourtant, nous étions conscients du recul dramatique en compréhension écrite. Rien n'a été fait. Cela sape toute la crédibilité de cette institution.
Lorsque les gouvernements et les parlements cantonaux approuvent des crédits globaux annuels, c'est-à-dire récurrents, pour les hautes écoles pédagogiques, ils les associent à des mandats de prestations, généralement sous la forme de la création d'une qualification d'enseignement pour les enseignants. Ces flux financiers ne devraient-ils pas être liés à des mandats de prestations plus concrets ou à des directives pour une pratique scolaire efficace? Car qui paie commande, n'est-ce pas?
Je suis d'accord avec vous. Nous manquons de transparence. Il faudrait également comparer les coûts par tête entre les anciens séminaires pour enseignants et la formation actuelle dans les hautes écoles pédagogiques. On entend souvent dire que la formation académique actuelle des enseignants est moins bonne que celle dispensée autrefois dans les séminaires.
Les enseignants travaillent dans la salle des machines de l'école, ils sont en première ligne. Quelles sont leurs principales préoccupations? Dans quelle mesure leurs attentes sont-elles prises en compte de manière ascendante – ou ne le sont-elles pas?
La science parle d'empirisme professionnel marginalisé. Concrètement, cela signifie par exemple que les enseignants expérimentés ont mis en garde avec insistance contre l'introduction de deux langues étrangères à l'école primaire et contre les nobles promesses de cette innovation.
Les responsables de la politique éducative et les équipes administratives ne les ont pas écoutés. Au contraire. Les praticiens ont été relégués au rang de passéistes.
Pourtant, nous savons depuis des années que la compréhension écrite, par exemple, diminue de façon spectaculaire, tout comme l'écriture correcte et cohérente. Le temps manque pour s'exercer. C'est précisément ce qu'ont souligné les voix alarmistes issues de la pratique. Elles ont été, pour le moins, ridiculisées. Cassandre nous salue! Pas de processus ascendant. Malheureusement.
Entre-temps, toute une «industrie de la réforme scolaire» s'est établie avec des modèles commerciaux lucratifs: les entreprises de conseil profitent des réformes structurelles en cours avec des offres telles que «Repenser l'apprentissage», «Conception d'apprentissage axée sur les compétences» ou «Pédagogie post-numérique», pour ne citer que quelques exemples. Comment évaluez-vous cette évolution?
Une évolution tragique. Il y a beaucoup d'argent à gagner dans et autour de l'éducation. Les acteurs privés l'ont compris depuis longtemps et font leur entrée dans les écoles. C'est un domaine lucratif! Ce sont souvent les mêmes personnes qui poussent à l'innovation et qui se présentent ensuite comme consultants. Contre une somme d'argent considérable, soit dit en passant.
En Suisse, les écoles privées sont de plus en plus populaires. Cette impression est-elle trompeuse? Que signifie la demande pour les écoles privées pour l'école publique locale?
Le nombre d'élèves dans les écoles privées reste relativement stable, à environ 5%. En revanche, le nombre d'instituts privés d'apprentissage et de soutien scolaire est en augmentation. Cela n'a rien d'étonnant.
Nous savons que même les enfants intelligents présentent souvent de grandes lacunes en calcul et en écriture à la fin de l'école primaire. Lorsqu'ils maîtrisent ces bases, ce n'est souvent que grâce à l'engagement de leurs parents ou à des instituts privés de soutien scolaire. Cela devrait donner à réfléchir aux responsables de l'éducation.
Une recherche Google avec les mots-clés «cours particuliers, préparation au gymnase, Zurich» donne une longue liste d'offres, sans parler du marché noir et gris des cours supplémentaires. La demande doit être importante, sinon ce marché n'existerait pas. L'école ne remplit pas suffisamment sa mission fondamentale.
Le 17 janvier 2025, l'école secondaire pour filles St. Katharina à Wil SG a comparu devant la plus haute juridiction suisse. La «Kathi» a été traînée devant le Tribunal fédéral par des politiciens qui ont en horreur cette école performante, dont la présidente de la Confédération Karin Keller-Sutter est une ancienne élève: l'identification de l'école au christianisme est-elle problématique, le parrainage privé est-il diabolique, la séparation des sexes inacceptable?
Une décision incompréhensible pour moi, initiée par un milieu politique qui se méfie intrinsèquement des performances scolaires élevées et de l'enseignement séduisant. Ce sont les mêmes milieux qui combattent avec véhémence la sélection après l'école primaire.
Les réformes ne se limitent pas à l'école obligatoire, elles ont également touché les écoles professionnelles. Dans la nouvelle formation commerciale, des matières telles que la «comptabilité» ou la «tenue des comptes» ne sont plus enseignées. L'enseignement se déroule dans les «domaines de compétences opérationnelles» (DCO). Comment évaluez-vous ce changement de système?
Le célèbre psychologue du développement et vice-président de la Société Max Planck, le professeur Franz E. Weinert, a mis en garde contre ces matières collectives, telles que celles promues par le Plan d’étude 21 et qui sont désormais également imposées dans la réforme commerciale: «En tant que systèmes de connaissances, les matières sont indispensables à l'apprentissage cognitif. Il n'y a absolument aucune raison d'avoir un mélange hétérogène de matières», a-t-il souligné. Le psychologue de l'apprentissage Weinert a cité comme exception l'enseignement par projet, où les phénomènes ou les problèmes réels de notre monde constituent le point de départ de l'apprentissage.
La formation professionnelle subit l'attrait du gymnase. Comment maintenir, voire accroître l'attractivité de l'apprentissage professionnel?
«C'est dans l'atelier que j'ai appris à penser.» C'est ce qu'affirme le philosophe et mécanicien moto de formation Matthew B. Crawford. Pour lui, la pensée passe par les mains. Les mains, selon Crawford, sont le prolongement de l'esprit. Et seule la préhension mène à la compréhension. C'est exactement ce que permettent l'artisanat et l'apprentissage professionnel. Et nous savons encore autre chose: il existe un lien étroit entre la pensée et l'action. C'est là aussi que réside l'attrait d'un apprentissage professionnel.
Nous devrions mieux réussir à montrer la valeur de la formation professionnelle initiale et les possibilités qu'elle offre dans notre système éducatif perméable, conformément au principe de l'égalité des chances: chaque diplôme mène à une nouvelle opportunité.
Où va le gymnase avec le projet de réforme «Evolution de la maturité gymnasiale» (EVMG)? Je vous interroge par votre question: «Humboldt ou McKinsey?»
En bref, une seule remarque sur un vaste domaine. Le «programme-cadre des écoles de maturité gymnasiale» en dit long. Il se lit comme un mélange entre un document du Conseil de l'Europe, le texte d'un acteur universel de l'éducation et un texte sur l'éducation généré par l'IA. La réponse est malheureusement simple: McKinsey domine! L'idée de l'éducation de Wilhelm von Humboldt passe au second plan. Pour beaucoup, il est déjà mort depuis longtemps.
Ni les réformes permanentes ni l'immobilisme rigide ne servent l'école. En ce qui concerne le développement futur, quels critères les futurs processus de réforme doivent-ils prendre en compte vu la primauté de la politique et la pertinence pour la pratique scolaire?
L'école et l'enseignement sont toujours les enfants de leur époque. C'est ce que nous enseigne l'histoire. Et le regard rétrospectif nous montre encore autre chose:
l'école a une double mission. Elle doit être moderne et en même temps avoir le courage de rester constante. Concrètement, elle reste toujours fidèle, dans le changement, à ce qui est toujours valable et n'a pas de date d'expiration. C'est là que réside la contradiction et donc l'exigence de l'école, la dialectique: elle doit changer et en même temps transmettre des valeurs intemporelles telles que les valeurs humaines et les compétences culturelles de base, à la fois traditionnelles et progressistes. L'école doit combiner les deux et rendre justice aux deux.
Et comment l'école d'aujourd'hui prépare-t-elle les enfants au monde de demain? Un monde soumis à une dynamique civilisationnelle jusqu'ici inconnue et en pleine révolution. Une chose est toujours exigée et postulée comme un mantra: préparer les jeunes à des temps flexibles, à un avenir numérisé et marqué par l'intelligence artificielle, à une ère où l'on change constamment de profession et où l'on se confronte à de nouvelles tâches. C'est pourquoi l'individu flexible fait partie des figures de proue de notre époque. Le sociologue américain Richard Sennet a décrit ce mot magique, la flexibilité, dans un livre lucide.
Mais comment devenir flexible dans un monde en constante évolution? Dans un monde où presque plus rien n'est constant et sûr.
Savoir faire une chose correctement vaut mieux que cent demi-mesures. Ce que le poète et penseur Goethe exigeait en substance, l'école du XXIe siècle devrait l'exiger: des exigences claires, un souci des connaissances de base élémentaires et une formation intensive aux qualifications valables en permanence: lecture compréhensive et écriture cohérente, calcul précis, pensée logique et imagination libre.
Ces compétences élémentaires sont le résultat d'un apprentissage systématique et d'un travail créatif, elles sont le fruit d'un dévouement sans faille aux bases. C'est la seule façon de devenir flexible! Maîtrisez les bases, et le reste suivra. Il n'y a rien à ajouter.
SICHTWEISENSCHWEIZ.CH remercie Carl Bossard pour cette interview.
| * Beat Schaller: «Avec le lancement de la plateforme en ligne SICHTWEISENSCHWEIZ.CH, j'assume personnellement mes responsabilités et apporte humblement et avec confiance ma contribution publique et sociale à la réussite de la Suisse. J'invite les personnes et les organisations intéressées à participer de différentes manières. Les possibilités sont nombreuses.» (https://sichtweisenschweiz.ch/ueber-uns/sichtweisenschweiz/) ** Carl Bossard a été recteur du gymnase cantonal de Nidwalden à Stans, directeur de l'école cantonale Alpenquai à Lucerne et recteur fondateur de la Haute école pédagogique PH Zug. Il publie régulièrement des articles sur des thèmes liés à la pédagogie, à la politique éducative, à l'histoire et à la société. Il travaille actuellement comme responsable de cours, conférencier, conseiller scolaire et chargé de cours à la Haute école pédagogique de Heidelberg. |
Source: https://sichtweisenschweiz.ch/politik/wer-hat-die-definitionsmacht-ueber-die-schulen-uebernommen-die-folgen-sind-verheerend-carl-bossard-fordert-eine-wende/, 10 novembre 2025
(Traduction «Point de vue Suisse»)
1 https://www.heinrich-pestalozzi.de/werke/pestalozzi-volltexte-auf-dieser-website/1799-stanser-brief
3 https://www.tagesanzeiger.ch/lesekompetenz-schweiz-jeder-vierte-jugendliche-scheitert-841555779367