Fermez les bases militaires américaines en Asie!

La meilleure stratégie pour les superpuissances est de ne pas se mêler des affaires des autres

par Jeffrey D. Sachs,* Etats-Unis

(2 mai 2025) Le président Donald Trump se plaint à nouveau haut et fort que les bases militaires américaines en Asie coûtent trop cher aux Etats-Unis. Dans le cadre du nouveau cycle de négociations douanières avec le Japon et la Corée, Trump exige que le Japon et la Corée prennent en charge1 le stationnement des troupes américaines. Voici une bien meilleure idée: fermez les bases et renvoyez les soldats américains aux Etats-Unis.

Jeffrey D. Sachs
(Photo G. C. Marino)

Donald Trump laisse entendre que les Etats-Unis rendent un grand service au Japon et à la Corée en stationnant 50 000 soldats au Japon et près de 30 000 en Corée. Mais ces pays n'ont pas besoin des Etats-Unis pour se défendre. Ils sont riches et peuvent très bien assurer leur propre défense. Plus important encore, la diplomatie peut garantir la paix en Asie du Nord-Est de manière beaucoup plus efficace et moins coûteuse que les troupes américaines.

Les Etats-Unis agissent comme si le Japon devait être défendu contre la Chine. Examinons cela de plus près. Au cours des 1000 dernières années, pendant lesquelles la Chine a été la puissance dominante dans la région, à l'exception des 150 dernières années, combien de fois la Chine a-t-elle tenté de conquérir le Japon? Si vous avez répondu «zéro», vous avez raison. La Chine n'a pas tenté une seule fois de conquérir le Japon.

Vous pourriez objecter: qu'en est-il des deux tentatives de 1274 et 1281, il y a environ 750 ans? Il est vrai que lorsque les Mongols ont temporairement dominé la Chine entre 1271 et 1368, ils ont envoyé deux fois des flottes d'expédition pour envahir le Japon, mais elles ont été vaincues à chaque fois par une combinaison de typhons (connus dans la tradition japonaise sous le nom de vents kamikaze) et par la défense côtière japonaise.

Le Japon, quant à lui, a tenté à plusieurs reprises d'attaquer ou de conquérir la Chine. En 1592, le chef militaire japonais arrogant et imprévisible Toyotomi Hideyoshi a lancé une invasion de la Corée dans le but de conquérir la Chine des Ming. Cependant, il n'est pas allé loin et est mort en 1598 sans avoir soumis la Corée. En 1894–1895, le Japon envahit la Chine lors de la première guerre sino-japonaise, la vainquit et fit de Taïwan une colonie japonaise. En 1931, le Japon envahit le nord-est de la Chine (Mandchourie) et fonda la colonie japonaise du Mandchoukouo. En 1937, le Japon envahit la Chine, déclenchant ainsi la Seconde Guerre mondiale dans le Pacifique.

Personne ne croit que le Japon va attaquer la Chine prochainement, et il n'y a aucune raison ni aucun précédent historique suggérant que la Chine pourrait attaquer le Japon. Le Japon n'a pas besoin de bases militaires américaines pour se protéger de la Chine.

Il en va de même pour la Chine et la Corée. Au cours des 1000 dernières années, la Chine n'a attaqué la Corée qu'une seule fois: lorsque les Etats-Unis ont menacé la Chine. A la fin de l'année 1950, la Chine est entrée en guerre aux côtés de la Corée du Nord pour combattre les troupes américaines qui avançaient vers le nord en direction de la frontière chinoise. A l'époque, le général américain Douglas MacArthur avait imprudemment recommandé d'attaquer la Chine avec des bombes atomiques. MacArthur avait également proposé de soutenir les forces nationalistes chinoises alors stationnées à Taïwan dans leur invasion de la Chine continentale. Dieu merci, le président Harry Truman a rejeté les recommandations de MacArthur.

La Corée du Sud a certes besoin d'une force de dissuasion face à la Corée du Nord, mais celle-ci serait bien plus efficace et crédible dans le cadre d'un système de sécurité régional incluant la Chine, le Japon, la Russie, la Corée du Nord et la Corée du Sud que par la présence des Etats-Unis, qui ont, à plusieurs reprises, attisé les tensions autour de l'arsenal nucléaire nord-coréen et de son réarmement, au lieu de les apaiser.

En réalité, les bases militaires américaines en Asie de l'Est servent principalement à projeter la puissance des Etats-Unis et non à défendre le Japon ou la Corée. C'est une raison supplémentaire pour laquelle elles devraient être retirées. Bien que les Etats-Unis affirment que leurs bases en Asie de l'Est sont défensives, elles sont naturellement considérées comme une menace directe par la Chine et la Corée du Nord, notamment parce qu'elles créent la possibilité d'une frappe préventive et réduisent dangereusement le temps de réaction de la Chine et de la Corée du Nord à une provocation des Etats-Unis ou à une sorte de malentendu.

La Russie s'est opposée avec véhémence à l'OTAN en Ukraine pour les mêmes raisons légitimes. L'OTAN s'est souvent ingérée dans des opérations de changement de régime soutenues par les Etats-Unis et a déployé des systèmes de missiles à proximité dangereuse de la Russie. En fait, comme la Russie le craignait, l'OTAN a participé activement à la guerre en Ukraine, fournissant des armes, des stratégies, des informations des services secrets et même la programmation et le suivi des frappes de missiles profondément à l'intérieur du territoire russe.

Notez que Trump est actuellement obsédé par deux petites installations portuaires au Panama appartenant à une société de Hong Kong, prétendument parce que la Chine menace la sécurité des Etats-Unis (!), et qu'il veut vendre ces installations à un investisseur américain. Pour leur part, les Etats-Unis n'encerclent pas la Chine avec deux minuscules installations portuaires, mais avec de grandes bases militaires américaines au Japon, en Corée du Sud, à Guam, aux Philippines et dans l'océan Indien, à proximité immédiate des voies maritimes internationales de la Chine.

La meilleure stratégie pour les superpuissances consiste à se tenir à l'écart les unes des autres. La Chine et la Russie ne devraient, pour le moins, pas ouvrir de bases militaires dans l'hémisphère occidental. La dernière fois que cela a été tenté, lorsque l'Union soviétique a déployé des armes nucléaires à Cuba en 1962, le monde a failli être détruit par une guerre nucléaire. (Voir le livre remarquable de Martin Sherwin, «Gambling with Armageddon», pour des détails choquants sur la proximité du monde d’un Armageddon nucléaire à l'époque). Ni la Chine ni la Russie ne montrent aujourd'hui la moindre inclination à le faire, malgré toutes les provocations des bases américaines dans leur voisinage.

Trump cherche des moyens d'économiser de l'argent – une excellente idée quand on sait que le budget fédéral américain s'élève à 2000 milliards de dollars par an, soit plus de 6% du PIB américain. La fermeture des bases militaires américaines à l'étranger serait un excellent début.

A l’aube de son second mandat, Trump semblait même vouloir s'engager dans cette voie, mais les républicains au Congrès ont exigé une augmentation plutôt qu'une réduction des dépenses militaires. Cependant, compte tenu des quelque 750 bases militaires américaines réparties dans environ 80 pays, il est grand temps de fermer ces sites, de réaliser des économies et de revenir à la diplomatie. Faire payer les pays hôtes pour quelque chose qui ne profite ni à eux ni aux Etats-Unis représente un énorme investissement en temps, en diplomatie et en ressources, tant pour les Etats-Unis que pour les pays hôtes.

Les Etats-Unis devraient conclure un accord fondamental avec la Chine, la Russie et d'autres puissances. «Vous gardez vos bases militaires loin de notre voisinage, et nous gardons les nôtres loin du vôtre.» Une réciprocité fondamentale entre les grandes puissances permettrait d'économiser des milliers de milliards de dollars en dépenses militaires au cours de la prochaine décennie et, plus important encore, de reculer l'horloge de l'apocalypse, qui est actuellement à 89 secondes de l'Armageddon nucléaire.2

* Jeffrey Sachs est Professeur à l’Université de Columbia, directeur du Centre pour le développement durable de l’Université de Columbia et président du Réseau des solutions de développement durable des Nations Unies. Il a été conseiller auprès de trois secrétaires généraux de l’ONU et occupe actuellement la fonction de défenseur des ODD auprès du secrétaire général António Guterres.

Source: https://www.other-news.info/close-the-us-military-bases-in-asia/, 21 avril 2025

(Traduction «Point de vue Suisse»)

1 https://www.reuters.com/world/trump-includes-us-troop-costs-tariff-talks-with-asian-allies-2025-04-17/

2 https://thebulletin.org/doomsday-clock/2025-statement/

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