Le Royaume d'Hawaï: sous occupation américaine depuis 132 ans

par Pascal Lottaz,* Kioto/Japon

(6 juin 2025) Dans une nouvelle publication, l'historien et juriste David Keanu Sai établit (une nouvelle fois) que le Royaume d'Hawaï n'a jamais cessé d'exister, son annexion par les Etats-Unis en 1898 étant nulle et non avenue, même au regard du droit américain.

Pascal Lottaz.
(Photo mad)

Le Dr David Keanu Sai, chercheur à l'Université d'Hawaï, vient de publier un chapitre très instructif intitulé «La souveraineté et la survie d'Hawaï à l'ère de l'empire»1 dans l'ouvrage volumineux de H.E. Chehabi et David Motadel: «Unconquered States: Non-European Powers in the Imperial Age»2 (Oxford Academic), dans lequel Sai établit de manière concise mais très précise les faits historiques qui prouvent l'existence juridique continue du royaume au cours des 200 dernières années.

Si une grande partie du chapitre traite des relations étrangères fascinantes du Royaume d'Hawaï et de sa structure sociale interne au XIXe siècle, l'argument de la continuité de l'existence repose sur deux observations cruciales: primo, Hawaï était un membre internationalement reconnu de la communauté internationale et, secundo, aucun transfert légal de souveraineté n'a jamais eu lieu, ni en vertu du droit international ni en vertu du droit interne américain. Sai conclut donc que les îles hawaïennes ne sont pas une possession des Etats-Unis, mais simplement un territoire occupé… depuis 132 ans.

Le roi Kalakaua avec des représentants de l'Empire du Japon, 1881.
Voir page 480.

Le cœur de l'argument repose sur le fait que dès 1843, le royaume d'Hawaï a obtenu la reconnaissance juridique en tant que souverain égal parmi la famille des Etats-nations lorsque les Britanniques et les Français l'ont reconnu comme tel dans une proclamation historique:

«Sa Majesté la Reine du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande, et Sa Majesté le Roi des Français, considérant l'existence dans les îles Sandwich d'un gouvernement capable d'assurer la régularité de ses relations avec les nations étrangères, ont jugé bon de s'engager réciproquement à considérer les îles Sandwich [Hawaïennes] comme un Etat indépendant, et à ne jamais prendre possession, ni directement, ni sous le titre de protectorat, ou sous aucune autre forme, d'aucune partie du territoire dont elles sont composées.» (Cf. note de bas de page 20)

Les Etats-Unis ont emboîté le pas un an plus tard en reconnaissant le royaume, après quoi les rois et reines successifs ont lancé une série de missions diplomatiques, notamment un traité avec le royaume du Japon qui, en fait, établissait que Hawaï jouissait des mêmes droits extraterritoriaux (inégaux) au Japon que les puissances européennes et américaines (page 479).

Ce n'est qu'en 1893, à la veille du 50e anniversaire de l'indépendance du Royaume, qu'un détachement de marines américains débarqua à Honolulu, sur ordre du ministre américain John Stevens, pour renverser la reine Lili'uokalani. Pour éviter un bain de sang, la reine, sous protestation officielle, a renoncé à son «autorité jusqu'à ce que le gouvernement des Etats-Unis, sur la base des faits qui lui auront été présentés, annule l'action de ses représentants et me rétablisse dans l'autorité que je revendique en tant que souveraine constitutionnelle des îles hawaïennes.» (page 482)

Les gouvernements américains successifs, à commencer par le président Grover Cleveland, ont admis à regret que les actions de Stevens constituaient une injustice illégale envers Hawaï. Néanmoins, sous son successeur, le président William McKinley, l'annexion d'Hawaï a été poursuivie, aboutissant à une résolution du Congrès de 1898 prévoyant l'intégration des îles dans la structure politique des Etats-Unis.

Cependant, comme le démontre Sai, une déclaration unilatérale d'annexion n'a aucune force en droit international pour conférer des droits souverains effectifs. Les actes de la législature des Etats-Unis n'ont force que dans leur propre juridiction, et non en dehors de celle-ci, un fait que même le ministère américain de la Justice a reconnu en 1988 (page 485). C'est pourquoi le renommé spécialiste du droit international Alfred de Zayas en arrive à la conclusion suivante:

«le statut politique légal des îles hawaïennes est celui d'un Etat-nation souverain en continuité, mais un Etat-nation qui se trouve sous une forme étrange d'occupation par les Etats-Unis résultant d'une occupation militaire illégale et d'une annexion frauduleuse.» (page 486)

* Dr Pascal Lottaz est professeur associé à l'Université de Kyoto, où il étudie la neutralité dans les relations internationales et dirige le réseau de recherche neutralitystudies.com. Citoyen suisse, il vit au Japon depuis dix ans. Ses ouvrages récents comprennent «Sweden, Japan, and the Long Second World War» (Routledge, 2022), «Neutral Beyond the Cold: Neutral States and the Post-Cold War International System» (Lexington Books, 2022), et «Notions of Neutralities» (Lexington Books, 2019). Il a également écrit des articles sur «Neutrality Studies» pour l'Oxford Encyclopedia et «The Politics and Diplomacy of Neutrality» pour l'Oxford Bibliography. Vous pouvez le suivre sur YouTube: https://www.youtube.com/@neutralitystudies

Source: https://pascallottaz.substack.com/p/the-kingdom-of-hawaii-year-132-under

(Traduction «Point de vue Suisse»)

1 https://www2.hawaii.edu/~anu/pdf/Hawaii_Sovereignty_and_Survival_(Sai).pdf?utm_source=substack&utm_medium=email

2 https://www2.hawaii.edu/~anu/pdf/Hawaii_Sovereignty_and_Survival_(Sai).pdf?utm_source=substack&utm_medium=email

Pour ceux qui souhaitent approfondir le sujet, nous vous invitons à lire le chapitre de Sai. Il est disponible gratuitement ici: https://www2.hawaii.edu/~anu/pdf/Hawaii_Sovereignty_and_Survival_(Sai).pdf
Vous pouvez également regarder une interview de Sai sur ce sujet sur la chaîne YouTube «Neutrality Studies»: https://www.youtube.com/watch?v=QbjOINCy88A

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