Crimes de guerre allemands

Alimentation centrale d’urgence pour les enfants pendant le blocus de la faim.
(Photo gk)

80e anniversaire du siège de Leningrad – 1,1 million de morts

par German Foreign Policy*

(25 janvier 2024) (Réd. CH-S) Le coût humain et l’horreur de la guerre d’agression allemande pour la population civile russe dès juin 1941 tombent ces temps-ci rapidement dans un oubli gênant. Aujourd’hui, l’ennemi est à nouveau très officiellement la Russie.

Le meurtre de masse de la population civile de Leningrad (Saint-Pétersbourg) par un blocus de la faim, froidement calculé par les dirigeants politiques allemands de l’époque, a constitué l’un des tristes sommets du «Herrenmenschentum» allemand.

Mais on tente à nouveau de dépeindre la Russie comme un pays ennemi et de présenter les habitants et leurs dirigeants politiques comme des «primitifs». La politique allemande n’a-t-elle rien appris de l’histoire? Où sont les efforts de paix? Où sont les mesures de modération?

* * *

Les survivants du blocus de la faim allemand envers Leningrad pendant la Seconde Guerre mondiale réclament, aujourd’hui encore, une indemnisation. Quatre-vingts ans après le blocus, le gouvernement fédéral rejette toujours cette idée.

A l’approche du 80e anniversaire de la levée du blocus allemand de Leningrad, le 27 janvier 1944, les survivants réclament une nouvelle fois une indemnisation, même minime. Entre 1941 et 1944, la Wehrmacht avait privé de nourriture les trois millions d’habitants de la métropole soviétique pendant une période de près de 900 jours. L’objectif était d’assassiner l’ensemble de la population urbaine par la faim; l’historien Jörg Ganzenmüller parlait déjà, à l’occasion du 60e anniversaire de la rupture du blocus, d’un «génocide par simple inaction». 1,1 million de personnes ont trouvé la mort.

Jusqu’à présent, seules les victimes juives ont été indemnisées; Berlin leur a accordé en 2008 un versement unique d’exactement 2556 euros. Les survivants non juifs réclament désormais cette somme. En effet, le plan d’extermination de la population de Leningrad visait aussi explicitement les habitants non juifs, diffamés comme «sous-hommes» slaves. Le gouvernement fédéral classe explicitement le génocide allemand de la faim comme un «acte de guerre général» pour lequel aucune indemnisation ne doit être versée.

Blocus mortel

La Wehrmacht a bouclé le blocus de Leningrad le 8 septembre 1941, privant ainsi le sud cette grande ville – où vivaient alors près de trois millions de personnes – de tout approvisionnement par les troupes allemandes. Au nord, ce sont les forces armées de la Finlande, alliée du Reich nazi, qui s’en sont chargées. Par le lac Ladoga, situé à l’est, des denrées alimentaires et d’autres biens d’approvisionnement ont pu être acheminés temporairement et en petite quantité, au prix de grands dangers. Les quantités étaient toutefois loin d’être suffisantes pour nourrir la population.

Immédiatement après la fermeture du blocus, la Wehrmacht a commencé à bombarder de manière ciblée les entrepôts de denrées alimentaires et autres installations d’approvisionnement. Quelques semaines plus tard, le manque de nourriture et de sources d’énergie était déjà dramatique. Une faim mortelle s’est répandue, le froid glacial a également coûté la vie à de nombreuses personnes. Les offensives soviétiques visant à libérer Leningrad échouèrent à plusieurs reprises. Ce n’est que le 27 janvier 1944 que l’Armée rouge parvint à briser le blocus. Pendant les presque 900 jours où Leningrad a été encerclée par les troupes allemandes, près de 1,1 million de personnes ont trouvé la mort. La grande majorité d’entre elles sont mortes de faim ou de froid.

Malgré tous les efforts – plus d’un million de personnes mortes de faim.
(Photo gk)

Un meurtre de masse par «inaction»

Leur mort par la faim était voulue par le Reich allemand. Adolf Hitler avait «l’intention de faire raser des villes comme Moscou et Saint-Pétersbourg», notait Joseph Goebbels le 9 juillet 1941; c’était «nécessaire»: «Car si nous voulons diviser la Russie en ses différentes composantes», elle ne devait «plus posséder de centre spirituel, politique ou économique».1 Le maréchal du Reich Hermann Göring conseilla en septembre 1941 de ne pas tenter de conquérir Leningrad – «suite à des considérations économiques»: selon les plans de Berlin, les denrées alimentaires de l’Union soviétique devaient profiter à la Wehrmacht et non à la population soviétique.

Le 29 septembre 1941, Hitler a déclaré qu’il n’y avait «aucun intérêt à conserver ne serait-ce qu’une partie de cette population métropolitaine dans cette guerre existentielle» et qu’une éventuelle capitulation de la ville devait être «rejetée, car nous ne pouvons pas résoudre le problème du maintien et de l’alimentation de la population».2 La population de Léningrad fut – comme des millions de prisonniers de guerre soviétiques – livrée à la famine. L’historien Jörg Ganzenmüller écrivait déjà il y a 20 ans à propos de cette forme de meurtre de masse peu coûteuse pour Berlin qu’il s’agissait d’un «génocide par simple inaction».3

Un centre de rencontre plutôt qu’une indemnisation

Les survivants du blocus génocidaire n’ont jamais reçu d’indemnisation adéquate de la part du successeur juridique du Reich allemand, la République fédérale d’Allemagne. Seuls les survivants juifs se sont vu offrir en 2008 l’option d’un versement unique à titre de compensation. Selon les données du ministère des Affaires étrangères, celui-ci s’élevait à 2556 euros.4

En 2021, 80 ans après le début du blocus, la Jewish Claims Conference a réussi à obtenir de la République fédérale la promesse d’un programme de pension pour environ 6500 victimes juives du nazisme, dont les survivants juifs du blocus peuvent en principe également profiter. Il s’agit de versements mensuels de 375 euros.5 Les survivants non juifs n’ont jusqu’à présent rien reçu. Pourtant, le plan berlinois d’extermination de la population de Leningrad par la famine s’appliquait explicitement à tous les habitants, y compris à la partie non juive de la population, attaquée par racisme en tant que «sous-hommes» slaves.6 En 2019, à l’occasion du 75e anniversaire de la levée du blocus, le ministère allemand des Affaires étrangères a débloqué douze millions d’euros pour moderniser un hôpital pour anciens combattants et financer la création d’un centre de rencontre germano-russe. A Berlin, on considère qu’il s’agit d’une prestation volontaire qui n’engage à aucun autre paiement.

«Acte de guerre général»

En particulier, le gouvernement fédéral refuse par principe de verser des indemnités individuelles aux citoyens non juifs de l’ancienne Union soviétique ou de l’actuelle Russie. «Les préjudices qui […] résultent d’actes de guerre généraux relèvent du droit international général et ne sont pas réglés par des dommages-intérêts individuels, mais par des accords de réparation d’Etat à Etat», a déclaré le gouvernement fédéral en 2017 au Bundestag.7 Selon ce document, Berlin considère le projet de livrer complètement à la famine une métropole de trois millions d’habitants comme un «acte de guerre général». L’ex-Union soviétique a «perçu des réparations considérables et a renoncé en août 1953 à de nouvelles réparations allemandes», poursuit le rapport. Un «Etat qui a reçu des réparations» doit cependant lui-même «compenser les dommages individuels sur son territoire». En 2017, le gouvernement fédéral résumait que «sous l’angle des indemnisations juridiques», «le sujet des relations germano-russes […] était clos». Il a simplement admis qu’il fallait «continuer à entretenir la mémoire». Avec sa soi-disant politique de la mémoire, la République fédérale se met régulièrement en scène, avec un grand impact en termes de relations publiques, comme un Etat prétendument purifié, alors qu’elle laisse en même temps les victimes sans aucun soutien.8

Les survivants

A l’approche du 80e anniversaire de la rupture du blocus, qui aura lieu dans un peu plus de deux semaines, les derniers survivants ont pris la parole. «Nous sommes désormais moins de soixante mille, tous de nationalités différentes, à avoir survécu aux horreurs de la ville assiégée», peut-on lire dans une lettre ouverte adressée au gouvernement allemand.9 Les survivants «condamnent fermement» le refus de Berlin d’étendre l’indemnisation – déjà maigre – «à toutes les victimes du blocus encore en vie aujourd’hui, sans distinction d’appartenance ethnique». Après tout, les plans allemands de famine n’avaient prévu «aucune exception fondée sur la nationalité». Dans la lettre ouverte, on peut lire: «Nous appelons le gouvernement fédéral allemand à ne pas retarder la seule décision qui s’impose et à étendre les versements humanitaires à tous les survivants du blocus sans exception, qui sont de moins en moins nombreux». Selon les indications des survivants, même la modernisation de l’hôpital pour anciens combattants, promue par Berlin comme «geste humanitaire», «n’a toujours pas été réalisée».

* Le documents d’information du site «german-foreign-policy.com» (Informations sur la politique étrangère allemande) proviennent de sources accessibles au public, de rapports de correspondants ainsi que d’expertises de scientifiques associés qui étudient le continuum de la politique étrangère allemande sous des aspects particuliers. Courriel: info@german-foreign-policy.com

Source: https://www.german-foreign-policy.com/news/detail/9450, 11 janvier 2024
(Reproduction avec l’aimable autorisation de la rédaction.)

(Traduction «Point de vue Suisse»)

1 Elke Fröhlich (Ed.). Die Tagebücher von Joseph Goebbels. Im Auftrag des Instituts für Zeitgeschichte und mit Unterstützung des Staatlichen Archivdienstes Russlands. Teil II: Diktate 1941–1945. Band 1: Juli–September 1941. München/New Providence/London/Paris 1996. p. 33.

2,3 Jörg Ganzenmüller. Ein stiller Völkermord. https://www.dhm.de, 15 janvier 2004
Siehe auch Rezension: Wigbert Benz. Der Hungerplan im «Unternehmen Barbarossa» 1941

4 Déclarations du ministère allemand des Affaires étrangères lors de la conférence de presse du gouvernement du 11 octobre 2021.

5 Hilfe für Überlebende. https://www.juedische-allgemeine.de, 6 octobre 2021

6 «Der Untermensch». https://www.dhm.de

7 Russland will Geld für nichtjüdische Opfer. https://www.dhm.de, 30 décembre 2023

8 Cf. Deutsche Erinnerungskultur, https://www.german-foreign-policy.com/news/detail/9067 et https://www.german-foreign-policy.com/news/detail/9352

9 Entschädigung jetzt! https://www.unsere-zeit.de, octobre 2023

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