«La Fédération de Russie a respecté le droit international en vigueur»

Wolfgang van Biezen. (Photo mad)

par Wolfgang van Biezen

(22 mai 2022) (Réd.) L'intervention militaire de la Russie en Ukraine est généralement qualifiée de contraire au droit international. Pourtant, la situation n'est pas aussi claire qu'il n'y paraît à première vue du point de vue du droit international. L'avis consultatif de la Cour internationale de justice sur la sécession du Kosovo de 2010 joue un rôle décisif dans l'évaluation, comme le montre l'auteur dans son enquête éclairante.

La Fédération de Russie a respecté le droit international en vigueur, tant lors de l'admission de la Crimée que lors de la reconnaissance des républiques de Lougansk et de Donetsk, et l'«opération militaire» en Ukraine est légitimée en tant que mesure de défense par l'article 51 de la Charte des Nations Unies.

Lorsque la guerre contre la Serbie, en violations du droit international, a été déclenchée par l'OTAN, l'ancien gouvernement fédéral Kohl/Kinkel était encore en place.

Jusqu'à présent, j'étais d'avis que le gouvernement Schröder/Fischer était responsable de la partie allemande de la guerre contre la Serbie. Ce n'est que partiellement vrai. Selon la Loi fondamentale allemande, la Bundeswehr est une armée parlementaire, et c'est là que se trouve la responsabilité. Parmi les derniers actes officiels du gouvernement Kohl, déjà déchu, figurait la demande pressante au Parlement d'approuver l'intervention militaire contre Milosevic.1

Rita Süssmuth, alors présidente du Bundestag, a convoqué le Parlement quatre jours plus tard. Lors des débats, il était frappant de constater qu'il n'y avait plus d'opposition et que les porte-parole de tous les partis, à l'exception du PDS, rivalisaient de virulence et de subtilités verbales en faveur de cette intervention militaire.

L'Occident, sous la houlette des Etats-Unis, avait créé dans sa zone d'influence, avec l'aide de services professionnels et d'agences de relations publiques, une ambiance si virulente contre Milosevic et en faveur du Kosovo que le gouvernement allemand n'avait visiblement pas d'autre choix que de hurler avec les loups s'il ne voulait pas être acculé dans le «coin des criminels milosevico-serbes», déjà tracé et soutenu par les médias depuis des mois.

Pour cette intervention, la guerre de l'OTAN dépendait de l'accord de l'Allemagne. La République fédérale était le dernier des 16 Etats membres de l'OTAN, 15 ayant déjà donné leur accord à l'intervention. Le «principe de l'unanimité de l'OTAN» s'appliquait.

Aurait-on pu dire non à l'époque, et la guerre n'aurait alors pas eu lieu?

La pression internationale de l'époque était telle que l'Allemagne ne pouvait guère «rester à l'écart» et devait prouver sa «fidélité à l'alliance». Les arguments avancés à l'époque au Bundestag allemand rappellent de manière frappante les prises de position politiques actuelles en faveur de sanctions toujours plus sévères.

L'exposé d'introduction du gouvernement fédéral au Bundestag fut prononcé par le ministre des Affaires étrangères Kinkel – un discours enflammé en faveur de l'engagement de la Bundeswehr.2 Tous les hommes politiques de l'époque étaient conscients qu'une guerre d'agression violait gravement le droit international; accessoirement, la Loi fondamentale allemande le violait également.

Aujourd'hui, tous les gouvernements européens, y compris la Suisse, tenue à la neutralité, ressentent une pression similaire. En même temps que l'UE, on s'enfonce actuellement dans une spirale de sanctions sans précédent.

Or, le gouvernement fédéral Kohl encore en place avait de son côté créé un tel climat au sein du Parlement allemand que quelques semaines plus tard, le gouvernement Schröder/Fischer qui lui succéda ne put plus en sortir.3 Ce gouvernement aurait-il pu dire non? D'un point de vue purement théorique, oui.

Quand je pense que la Suisse a actuellement repris à son compte toutes les sanctions de l'UE et des Etats-Unis et qu'elle renonce ainsi, apparemment sans nécessité, à son obligation de neutralité, je ne peux qu'imaginer que la pression actuelle sur les personnes et les gouvernements doit être énorme.

La population rentre la tête dans les épaules face à ce tambour médiatique qui est actuellement orchestré jour et nuit par une multitude d'agences. On ne sait plus quoi croire. Le choix des mots entre les gens se fait de manière plus prudente, la méfiance s'installe dans les relations quotidiennes. La confiance en ses propres réactions saines diminue. Le texte très pertinent d'Alfred Adler, l'un des pionniers de la psychologie des profondeurs, «L'autre côté» (Die andere Seite), était valable en 1919 et l'est toujours en 2022.

Voilà pour la question de la psychologie de masse.

Nous savons qu'à Rambouillet, dans cette ambiance, il a été exigé en dernier ressort de la Serbie que l'OTAN puisse exercer un contrôle total sur le territoire serbe, avec de nombreuses implications. Dans ces prétendues «négociations», le droit international a été foulé aux pieds.

L'alliance militaire de l'OTAN, qui s'est muée depuis 1999 d’une alliance purement défensive en une alliance offensive autoproclamée, n'a délibérément pas tenu compte des résolutions de l'ONU sur la Serbie et le Kosovo, qui existaient pourtant bel et bien. L'OTAN, notons-le, se dote de manière autocratique de compétences en matière de droit international, représente son propre «droit international» pour la «communauté internationale», remplit des obligations «sacrées» tout en fournissant la moitié du monde en guerre et en armes. Et quiconque enfreint l'«ordre fondé sur des règles» établi par l'OTAN n'a plus le droit d'être le président élu d'un Etat. Oui, un président aussi disqualifié et à proscrire au niveau international – Milosevic était un modèle, le président el-Assad hier, le président Poutine aujourd'hui – n'a bien sûr pas non plus le droit de se défendre et de défendre son peuple, et encore moins d'être président. La diplomatie est abrogée.

Le ministère russe des Affaires étrangères a publié un article intéressant sur La loi, les droits et les règles4 à propos de ce détournement de droit et de tant d'autres. Sergueï Lavrov rappelle que le droit international s'applique à tous et qu'aucune organisation et aucun Etat ne peut s'élever au-dessus de ce droit, établir ses propres règles et les modifier à sa guise et en fonction de la situation, comme le fait continuellement l'Occident. La Russie et de nombreux autres Etats respectent le droit international en vigueur et il a ajouté diplomatiquement «qu'on s'en tienne à nouveau au droit en vigueur».

Et nous en arrivons à la question de savoir si la Russie elle-même respecte ou non le droit international existant avec son «opération militaire» en Ukraine.

La Cour internationale de justice et la sécession du Kosovo

L'avis juridique de la Cour internationale de justice (CIJ) de La Haye du 22 juillet 2010 sur la sécession du Kosovo, exécutée unilatéralement à la suite de l'attaque de l'OTAN contre la Serbie, donne une réponse claire à ce sujet.5 Comment se fait-il qu’une telle réponse a été donnée et quel rôle joue-t-elle dans la situation actuelle?

La Russie et la Serbie, entre autres, ont dénoncé auprès de l'ONU la guerre contre la Serbie, en violation du droit international, et la sécession du Kosovo qui s'en est suivie, ainsi que la réaction honteuse de l'Occident à ces injustices, et cette dernière auprès de la CIJ. Le jugement était très attendu au niveau international.

Au lieu de mettre l'OTAN devant ses responsabilités, car la Serbie n'avait attaqué personne et le cas d'alliance de l'OTAN ne pouvait être invoqué, la Cour internationale de justice de La Haye a présenté à l'époque un avis consultatif confortable pour l'Occident. La sécession unilatérale du Kosovo de la Serbie était, selon la Cour, compatible avec le droit international. C'était inattendu et nouveau.

Cet avis a créé un précédent qui s'est avéré important par la suite pour le rattachement de la Crimée à la Fédération de Russie et aujourd'hui pour la reconnaissance par la Russie de l'indépendance des républiques populaires de Donetsk et de Lougansk.

Au sujet de la Crimée

L'avis de la CIJ place l'intégrité territoriale d'un Etat sur le même plan que le Droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.6 Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes est en fait conçu pour aider une colonie à se rendre indépendante de ses colonisateurs, comme la Grande-Bretagne ou la France. Cependant, le Kosovo n'était pas une colonie de la Serbie, mais une partie intégrante d'un Etat. Alfred de Zayas écrit à ce sujet que le droit international a «évolué» et que les Catalans ou les Kurdes ont bien entendu le même droit à l'autodétermination.7

La Russie a donc agi conformément au droit international lors de l'intégration non violente de la Crimée dans son territoire, qui avait été précédée d'un référendum.

Les organes de presse occidentaux ont toutefois parlé avec insistance d'une annexion, ce qui a – au plus tard à partir de ce moment-là – créé une norme pour la couverture médiatique tendancieuse et diffamatoire de la Russie.

Qu'en est-il du respect du droit international par la Russie dans le cas du Donbass?

Au sujet du Donbass

Les républiques populaires de Louhansk et de Donetsk avaient déjà déposé une demande d'adhésion à la toute nouvelle Fédération de Russie lors de la dissolution de l'Union soviétique en 1991. La Russie avait alors d'autres chats à fouetter et les deux oblasts sont donc restés rattachés à l'Ukraine. Leur population russe, parce que russe et non ukrainienne, a dès lors été discriminée de diverses manières par les autorités ukrainiennes et même combattue par l'armée.

Comme on le sait, l'OTAN, qui compte aujourd'hui déjà 30 membres, s'est déplacée successivement et de manière provocante en direction de la frontière russe au cours des dernières années.

Au début de l'année 2022, les Etats-Unis ont généré une pression mondiale, par exemple en prédisant à grand renfort médiatique une invasion russe de l'Ukraine pour le 16 février 2022. Cette semaine-là, l'OSCE présente a effectivement observé et documenté des tirs massifs contre les deux républiques par l'armée ukrainienne le long de la ligne de contact. Le ministre des Affaires étrangères Lavrov a parlé de plus de cent mille réfugiés qui ont pour la plupart fui vers la Russie à la suite de ces attaques massives.

Les républiques de Donetsk et de Louhansk ont décidé de faire sécession de l'Ukraine et ont déposé une demande de reconnaissance auprès de la Fédération de Russie. En raison de l'urgence, la Douma à Moscou a décidé le 15 février de répondre favorablement à cette demande et a demandé au président Poutine de donner son accord. Celui-ci a signé les documents correspondants quelques jours plus tard, le 21 février, au vu et au su du monde entier, en indiquant que l'Ukraine n'était pas disposée à appliquer les Accords de Minsk. Le traité entre les républiques populaires et la Russie prévoyait expressément, outre l'intention d'amitié et de coopération, une assistance mutuelle. Concrètement, il a été convenu que les forces armées de la Fédération de Russie pouvaient «exercer des fonctions de maintien de la paix sur le territoire» des deux républiques populaires. Cela s'applique à partir du 21 février 2022.

Au plus tard à partir de cette date, les tirs de plus en plus soutenus des armées ukrainiennes n'étaient plus une guerre civile selon le droit international, mais un acte de guerre entre l’Ukraine d'une part et les républiques de Donetsk et de Lougansk devenues indépendantes, ainsi que la Fédération de Russie, d'autre part – l'agresseur étant clairement l'Ukraine.

Si l'Ukraine avait cessé les combats au plus tard à ce moment-là et était revenue à la table des négociations, l'opération militaire de la Russie aurait peut-être pu être évitée. Mais comme ce n'est pas le cas à ce jour, la Russie et les territoires souverains et indépendants reconnus par la Russie revendiquent le droit à la défense collective, comme le stipule l'article 51 de la Charte de l'ONU.8

Voilà pour la situation juridique.

Comme la Russie est très à cheval sur le droit international, il convient de souligner ici que la République fédérale d'Allemagne joue avec le feu. Si le nouveau ministre de l'Economie et de l'Environnement Robert Habeck et la ministre des Affaires étrangères Annalena Baerbock continuent, dans leur inexpérience, à s'engager avec le chancelier Olaf Scholz en faveur de livraisons massives d'armes à l'Ukraine et à trop manier le sabre, la Russie pourrait, et ce également en conformité avec le droit international, invoquer les articles 53.2 et 107 de la Charte des Nations Unies.

Conclusion

Il ne s'agit pas pour la Russie d'agrandir son territoire, mais de protéger les minorités russes en Ukraine, de sécuriser ses propres frontières et de créer les conditions nécessaires à des négociations d'égal à égal sur ses objectifs.

La Fédération de Russie a respecté le droit international en vigueur, tant lors de l'intégration de la Crimée que lors de la reconnaissance des républiques de Lougansk et de Donetsk, et l'«opération militaire» en Ukraine est légitimée en tant que mesure de défense par l'article 51 de la Charte de l'ONU.

Voilà pour la légalité.

Chaque mot que George Friedman a prononcé au printemps 2015 lors de son intervention au Chicago Council on Foreign Relations sur la politique américaine du passé, du présent et du future doit être pris au pied de la lettre et au sérieux. Par exemple: «Les Etats-Unis continueront à mener des guerres»!9

Source: https://weltexpress.info/die-russische-foederation-hat-sich-sowohl-bei-der-aufnahme-der-krim-als-auch-bei-der-anerkennung-der-republiken-lugansk-und-donezk-an-geltendes-voelkerrecht-gehalten-und-die-militaerische/ du 18 avril 2022
Reproduction avec l'aimable autorisation de l'auteur.

(Traduction «Point de vue Suisse»)

1. Bundestag allemand, 13e législature, document 13/11469, demande du gouvernement fédéral du 12 octobre 1998.

2. Bundestag allemand, Procès-verbal de la séance plénière 13/248, Rapport sténographique, 248e séance, Bonn, le 16 octobre 1998.

3. Bundestag allemand, Procès-verbal plénier 14.43, Rapport sténographique, 43e séance, Bonn, le 11 juin 1999

4. Lavrov, Sergej. https://www.zeit-fragen.ch/fr/archives/2021/n-16-20-julliet-2021/la-loi-les-droits-et-les-regles.html, Horizons et débats no 16, 20 juillet 2021

5. https://de.wikipedia.org./w/index.php?%20Title=Rechtsgutachten_zur_G%C3%BCltigkeit_der_Unabh%C3%A4ngigkeitserkl%C3%A4rung_Kosovos&oldid=220207411, consulté le 30 mars 2022

6. Röper, Thomas, Die Ukraine Krise 2014, p.151s., J-K-Fischer Verlag, 2019

7. Le professeur Alfred de Zayas et le professeur Axel Schönberger, Lettres à l'éditeur, Frankfurter Allgemeine Zeitung du 1er mars 2022, p. 25.

8. Baud, Jacques, https://swiss-standpoint.ch/news-detailansicht-fr-international/la-politique-des-etats-unis-a-toujours-ete-d-empecher-l-allemagne-et-la-russie-de-cooperer-plus-etroitement.html, 15 mars 2022

9 Friedman, George, conférence donnée au Chicago Council on Foreign Relations, février 2015, en anglais avec traduction simultanée en allemand. https://www.youtube.com/watch?v=T1hn5LRT5dw

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