Suisse

De Charybde en Scylla

Dans la «guerre des roses» entre les Etats-Unis et l’UE, la Suisse se range du côté de Bruxelles – s’éloignant plus encore de sa neutralité

par Michael Straumann*

(28 mars 2025). Ces derniers mois et ces dernières semaines ont été marqués par une profonde discorde entre Washington et Bruxelles. Tout d’abord, le discours de J.D. Vance à la Conférence de Munich sur la sécurité a fait sensation, lorsqu’il a fait la leçon à l’élite politique d’Europe occidentale.1 Puis, la dispute publique entre Donald Trump et Volodymyr Zelensky dans le Bureau ovale a suivi,2 qui s’est terminée par l’annulation de la participation des Etats-Unis à l’aide militaire à l’Ukraine.3 La réaction de l’Union européenne a été sans équivoque: la loyauté envers Kiev s’est intensifiée. L’UE a pris le relais des Etats-Unis pour fournir les armes.4

Michael Straumann.
(Photo mad)

Les observateurs politiques ont suivi avec intérêt la position que la Suisse allait adopter dans cette guerre des roses de l’axe transatlantique, d’autant plus que le Conseil fédéral avait exprimé des opinions positives sur l’administration Trump et ses efforts dans la question ukrainienne.5 Cela signifiait-il un retour à la stricte politique de neutralité que la Suisse a largement abandonnée ces dernières années? La conclusion intermédiaire est claire: non.

Ouverture à l’UE et neutralité «flexible»

Au lieu de tirer habilement profit de la discorde entre Washington et Bruxelles, Berne se jette – sans même y être contrainte – dans les bras de l’Union européenne, comme l’a montré un récent vote au Conseil national suisse. Le 6 mars, les parlementaires de la Grande Chambre ont voté par 115 voix contre 66 en faveur d’une coopération plus étroite avec Bruxelles en matière de politique de sécurité.6

Dans sa déclaration, le Conseil national recommande au Conseil fédéral d’examiner d’autres possibilités de coopération avec l’Union européenne en matière de politique de sécurité, par exemple dans le cadre de l’Agence européenne de défense Hub for European Defence Innovation (HEDI). En outre, le gouvernement fédéral est invité à présenter des mesures concrètes de coopération avec Bruxelles en matière de politique de sécurité. Selon la majorité parlementaire, le rôle de la Suisse en tant que partie intégrante de l’architecture de sécurité européenne doit être renforcé.

L’été dernier, la cheffe du Département de la Défense, Viola Amherd, qui a depuis démissionné, a signé l’European Sky Shield Initiative (ESSI),7 qui prévoit un système européen commun de défense aérienne et antimissile en Europe. Il y a lieu de douter que les choses iront mieux sous Martin Pfister, successeur de Mme Amherd, qui a été élu nouveau conseiller fédéral le 12 mars par l’Assemblée fédérale. Dès sa première conférence de presse, M. Pfister a annoncé qu’il «aménagerait de manière flexible» la neutralité, ce qui n’est rien d’autre qu’un euphémisme pour dire qu’il prévoit continuer à la vider de sa substance.8

Sanctions et censure

En ce qui concerne l’orgie de sanctions contre la Russie, la Suisse continue à y participer allègrement. Le 4 mars, elle a ainsi adopté le 16e train de sanctions de l’Union européenne, comme si les 15 premiers avaient eu l’effet escompté. Alors que le Conseil fédéral s’était jusqu’à présent abstenu de censurer les médias russes suite à l’incursion de la Russie en Ukraine, la situation a changé: les portails d’information russes South Front et News Front ont été bloqués.9 Cela montre clairement à quel point l’érosion de la neutralité met en péril la liberté de la presse en Suisse. Pour le dire de manière plus directe: la neutralité est un bouclier protégeant les droits fondamentaux. Dans mon texte «Von Krieg und Knechtschaft» [De la guerre et de la servitude], j’ai expliqué comment une politique étrangère non interventionniste et pacifique protège les citoyens contre les restrictions des droits fondamentaux dans leur propre pays.10

Au lieu de revenir au modèle de neutralité qui a fait ses preuves, la Berne fédérale continue de créer des faits irréversibles, jusqu’à ce qu’un retour à une politique étrangère neutre devienne tout simplement impossible. Le différend actuel entre Washington et Bruxelles n’y changera apparemment pas grand-chose. Seul le peuple suisse peut changer la donne s’il refuse de réélire les partisans de la suppression de la neutralité lors de la prochaine législature et s’il montre le carton rouge au Conseil fédéral en votant «Oui» lors de la votation à venir sur l’initiative populaire fédérale «Sauvegarder la neutralité suisse».11

* Michael Straumann, né en 1998, étudie les sciences politiques et la philosophie à l’Université de Zurich et travaille comme stagiaire rédactionnel pour le magazine «Schweizer Monat». Il est l’éditeur de «StrauMedia».

Source: https://www.straumedia.ch/p/vom-regen-in-die-traufe, 18 mars 2025

(Traduction «Point de vue Suisse»)

1 https://www.youtube.com/live/pCOsgfINdKg

2 https://www.youtube.com/watch?v=hZrYHvE8mcM

3 https://www.nytimes.com/2025/03/03/us/politics/trump-ukraine-military-aid.html?utm_source=substack&utm_medium=email

4 https://www.aljazeera.com/news/2024/3/13/eu-5bneuro-boost-for-ukraine-military-aid-fund-russia?utm_source=substack&utm_medium=email

5 https://www.straumedia.ch/p/sinneswandel-in-bundesbern?utm_source=substack&utm_medium=email

6 https://www.parlament.ch/de/services/news/Seiten/2025/20250306130907515194158159026_bsd100.aspx?utm_source=substack&utm_medium=email

7 https://www.straumedia.ch/p/krieg-gegen-die-volkssouveranitat?open=false#%C2%A7european-sky-shield-neutralitat-zum-abschuss-freigegeben

8 https://www.srf.ch/news/schweiz/arena-zu-martin-pfister-flexible-neutralitaet-neuer-bundesrat-bringt-svp-auf-die-palme?utm_source=substack&utm_medium=email

9 https://rtde.online/meinung/238794-medienfreiheit-in-schweiz-gefaehrdet-bern/?utm_source=substack&utm_medium=email

10 https://www.straumedia.ch/p/von-krieg-und-knechtschaft?utm_source=substack&utm_medium=email

11 https://neutralitaet-ja.ch/fr/

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