Suisse – UE

Qui les élus cantonaux représentent-ils réellement?

par Lukas Leuzinger*

(12 décembre 2025) Lorsque la Suisse a débattu de sa première Constitution fédérale en 1848, les centralisateurs et les fédéralistes se sont affronté: les premiers voulaient briser complètement le pouvoir des cantons, les seconds voulaient conserver la confédération d'Etats lâche qui existait jusqu'alors, selon le principe «un canton, une voix». Finalement, un compromis a été trouvé: un Parlement à deux chambres.

Lukas Leuzinger.
(Photo mad)

Au Conseil national, les sièges sont attribués en fonction du nombre d'habitants, tandis qu'au Conseil des Etats, tous les cantons ont le même nombre de sièges. En outre, les décisions importantes, telles que les modifications constitutionnelles, doivent être approuvées à la majorité des électeurs et des cantons. Sans ces garanties de leur souveraineté, les cantons n'auraient guère été disposés à renoncer à une partie de leurs compétences au profit du nouvel Etat.

Le fédéralisme et la souveraineté cantonale ne sont donc pas simplement le fruit de l'histoire: ils sont constitutifs de l'Etat fédéral suisse. Sans souveraineté cantonale, sans participation fédéraliste, la Suisse moderne n'existerait pas. Mais ce principe fondamental de la structure étatique suisse est aujourd'hui remis en cause. Par qui?

Par les cantons.

Dernier exemple en date: vendredi, la Conférence des gouvernements cantonaux (CdC) a annoncé1 qu'elle approuvait à la majorité (21 voix contre 4 et une abstention) le nouvel ensemble d'accords entre la Suisse et l'UE. Un ensemble d'accords qui, par la reprise «dynamique» du droit, restreint considérablement la participation démocratique en Suisse. Plus encore: les droits de participation des cantons sont également restreints. La procédure de consultation, un canal décisif pour les cantons dans le processus démocratique, est supprimée dans de nombreux cas ou devient insignifiante. La compétence législative des cantons dans des domaines tels que l'énergie et les transports est supprimée et transférée au niveau de l'UE.

On peut certes considérer que les avantages économiques de l'accord compensent ces inconvénients démocratiques. Il est toutefois déconcertant que la majorité des cantons (15 voix contre 10 et une abstention) refusent de soumettre le paquet d'accords à la double majorité du peuple et des cantons. Et ce, bien que les accords touchent au cœur même de la structure étatique suisse et que des juristes de renom estiment qu'un référendum obligatoire est approprié.2 Avec 15 voix, le quorum requis de 18 voix n'a pas été atteint pour que la CdC puisse émettre un avis officiel au nom des cantons. Mais le fait est que la majorité des cantons se prononce en faveur d'une atteinte à leur propre souveraineté et à leur droit de regard.

Cette décision s'inscrit donc dans une tendance inquiétante.

  • Pendant la crise du coronavirus, les cantons ont carrément craint d'assumer leurs responsabilités. Au lieu de cela, ils ont supplié la Confédération d'intervenir et de mettre plus d'argent à disposition.3
  • Le «paquet d'économies» (terme trompeur, car il ne s'agit que d'un léger ralentissement de la croissance des dépenses) actuellement débattu au Parlement prévoit des réductions des flux financiers de la Confédération vers les cantons (par exemple dans le domaine de l'asile ou pour les hautes écoles) – et les représentants des cantons ont immédiatement poussé un cri d'alarme collectif. Ce faisant, ils ont oublié que chaque flux financier s'accompagne d'un transfert de compétences correspondant. Si la Confédération prend en charge le financement, elle veut également avoir le pouvoir de décision.
  • Cela vaut de manière générale pour la politique financière: les cantons acceptent régulièrement l'argent de la Confédération ou vont même jusqu'à tendre la main. Un exemple est la garde d'enfants complémentaire à la famille, qui est en fait une compétence classique des cantons. Mais ceux-ci préfèrent laisser la Confédération payer. Depuis plus de 20 ans, la Confédération accorde un «financement initial» aux crèches et autres structures d'accueil. Cette subvention, initialement temporaire, doit désormais être pérennisée et inscrite dans une loi correspondante.
  • Ce mécanisme se répète également dans les accords avec l'UE: les cantons approuvent certes le paquet, mais soulignent en même temps les «charges financières supplémentaires» et exigent un «soutien de la Confédération» correspondant dans les domaines concernés.

La Confédération considère chaque engagement financier qu'elle prend comme une invitation à davantage de réglementation (fédérale). Il en résulte un transfert des compétences cantonales vers la Confédération. Et les cantons semblent tout à fait satisfaits de cette situation.

Pour le dire de manière plus crue, ils disent à la Confédération: «Nous acceptons d'être privés de nos pouvoirs si tu nous compenses financièrement.»

Un fédéralisme avec de tels défenseurs n'a plus besoin d'adversaires.

* Lukas Leuzinger est rédacteur en chef adjoint du magazine «Schweizer Monat», journaliste, auteur et rédacteur en chef du blog politique «Napoleon’s Nightmare» (www.napoleonsnightmare.ch). Il vit à Hinwil.

Source: https://schweizermonat.ch/wen-vertreten-eigentlich-die-kantonsvertreter/, 27 octobre 2025

(Traduction «Point de vue Suisse»)

1 https://kdk.ch/fr/actualite/communiques-de-presse/details/les-cantons-soutiennent-le-paquet-daccords-suisse-ue

2 https://schweizermonat.ch/die-schweiz-waere-nicht-entstanden-wenn-wir-kein-doppeltes-mehr-haetten/

3 https://schweizermonat.ch/die-schweiz-waere-nicht-entstanden-wenn-wir-kein-doppeltes-mehr-haetten/

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