La Suisse sous pression

La neutralité suisse – Principes fondamentaux et situation actuelle

par Pascal Lottaz,* Japon

(2 mai 2025) (CH-S) La pression exercée sur la Suisse pour qu'elle rejoigne l'alliance européenne de l'OTAN s'est considérablement intensifiée ces dernières semaines. L'Allemagne et la France, pays limitrophes, ainsi que la Grande-Bretagne, ancienne puissance mondiale, et les dirigeants de l'UE souhaitent que l'Europe passe de toute urgence à une économie de guerre et à un état de préparation à la guerre. Des centaines de milliards sont débloqués à cette fin. Pour eux, une guerre contre la Russie semble inévitable.

Pascal Lottaz donne une conférence dans la salle de séminaire de
Frauenfeld sur la neutralité suisse. (Photo mt)

L'Italie et d'autres pays européens se distancient de cette analyse. Ils ne voient aucune menace directe de la part de la Russie et réclament une architecture de sécurité axée sur la paix et l'avenir afin d'empêcher l'extension de la guerre en Ukraine aux pays d'Europe occidentale.

Au cours des trois dernières décennies, notre gouvernement fédéral, le Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS), le commandement de l'armée et une partie du Parlement ont œuvré en faveur d'un rapprochement entre la Suisse et l'OTAN. Aujourd'hui, il est urgent de mettre un terme à cette évolution erronée et de la corriger. Pour cela, un débat ouvert, factuel et honnête est nécessaire dans notre pays.

L'initiative populaire fédérale «Sauvegarder la neutralité suisse» (initiative sur la neutralité) a abouti en avril 2024. Elle sera traitée au Parlement cet été et cet automne, puis soumise au vote du peuple et des cantons probablement au printemps 2026.

Le Suisse Pascal Lottaz est professeur extraordinaire à l'Université de Kyoto au Japon et un expert reconnu des questions de neutralité. Il y dirige le réseau de recherche «neutralitystudies.com» et mène des recherches sur le thème de la neutralité dans les relations internationales.

Le 1er février 2025, Pascal Lottaz a animé un séminaire sur la neutralité suisse dans le cadre de l'association «Schweizer Standpunkt/Point de vue Suisse» à Frauenfeld TG. A la suite de cette matinée, il a aimablement mis à notre disposition l'article suivant, rédigé à l'origine en anglais. Il y analyse les options de «sécurité par la neutralité» et de «sécurité par la défense collective».

* * *

Dans un contexte de multipolarité mondiale en rapide évolution, de nouvelles questions sécuritaires se posent pour la Suisse. La plus importante d'entre elles n'a toutefois que peu à voir avec des facteurs externes, mais plutôt avec notre conception de la Suisse en tant qu'Etat neutre permanent. Si très peu de personnes dans le pays remettent en question le concept même de neutralité, il apparaît de plus en plus clairement qu'il existe sous la surface un désaccord politique et idéologique quant à sa signification fondamentale. Cela a des implications profondes pour l'organisation de la défense nationale. La question cruciale sur le plan militaire est donc la suivante: «Alors, qu'en est-il de la coopération?»

Dans les sections suivantes, nous présenterons d'abord les grandes lignes des deux stratégies «sécurité par la neutralité» et «sécurité par la défense collective», puis nous analyserons les préférences politiques existantes dans le système politique suisse afin d'en tirer des enseignements pour la planification stratégique à court et moyen terme.

Deux modèles de sécurité sont sur la table

Le discours sur la sécurité en Suisse connaît l'une des révisions les plus profondes de ces 200 dernières années. Le nouvel environnement sécuritaire multipolaire et un changement de mentalité qui se profile au niveau national sapent les cadres de référence traditionnels. Cela s'exprime le plus clairement dans un nouveau débat sur la neutralité du pays, principe directeur traditionnel de la pensée sécuritaire suisse. La neutralité n'est certes pas le seul facteur de sécurité, mais elle est fondamentale en matière de stratégie et de planification à long terme. La question fondamentale est la suivante:

la Suisse continuera-t-elle à rechercher la sécurité par la neutralité armée ou suivra-t-elle le modèle suédois et finlandais en optant pour la sécurité par la défense collective au sein des structures de l'OTAN et de l'UE?

Il s'agit là de deux modèles de sécurité très différents et, malgré les déclarations contraires de l'ancienne cheffe du Département fédéral de la défense, Viola Amherd,1 il est clair que les deux options sont sur la table.

Toutefois, en raison du système de démocratie directe en vigueur en Suisse, la question de la voie à suivre ne peut être tranchée par quelques politiciens ou leurs partis seuls. Cela ne peut être réalisé que par l'ensemble du processus politique du pays – et c'est dans ce but que l'initiative populaire «Sauvegarder la neutralité suisse» a été déposée en avril 2024 à Berne. A l'heure actuelle, la stratégie militaire concrète de la Suisse en matière de sécurité est en suspens, car elle est elle-même soumise à des visions politiques divergentes.

«Le problème fondamental réside dans le fait que la sécurité par la défense collective et la sécurité par la neutralité armée reposent sur deux stratégies différentes et (en principe) incompatibles.»

Des stratégies incompatibles

La sécurité par la neutralité armée

Le problème fondamental réside dans le fait que la sécurité par la défense collective et la sécurité par la neutralité armée reposent sur deux stratégies différentes et (en principe) incompatibles. La sécurité par la neutralité armée repose sur un mélange de «un peu de bâton» et «un peu de carotte». D'une part, les pays neutres armés utilisent leurs capacités militaires limitées pour menacer les agresseurs potentiels d'un certain degré de souffrance et leur signaler ainsi qu'ils devront payer un prix considérable en vies humaines et en argent pour vaincre la défense du pays neutre (le bâton).

D'autre part, les neutres offrent une coopération globale, ce qui signifie que même des parties potentiellement hostiles peuvent obtenir des avantages limités grâce au commerce et à la coopération (la carotte). Le stationnement de troupes ou l'utilisation des infrastructures du neutre à des fins militaires restent toutefois interdits.

Les Etats militairement neutres disposent de leurs propres moyens de dissuasion et sont en même temps utiles à toutes les puissances du monde international pour les inciter à tirer parti des avantages de la neutralité par des moyens pacifiques et non militaires.

Telles étaient les stratégies de la plupart des pays neutres armés pendant la Seconde Guerre mondiale, dont certains ont réussi (Portugal, Espagne, Irlande, Suède, Suisse et Turquie), tandis que d'autres n'ont pas réussi à dissuader les puissances de l'Axe (Belgique, Luxembourg, Pays-Bas, Danemark, Norvège, etc.) ou les Alliés (Islande, Iran), voire les deux.2

La grande faiblesse d'une approche neutre en matière de sécurité réside dans le fait que si la carotte n'est pas assez grosse et le bâton trop faible, un adversaire peut décider de payer le prix fort pour obtenir tout ce qu'il veut par des moyens militaires. Dans le pire des cas, un pays neutre peut lui-même devenir l'objet principal de convoitises guerrières, comme ce fut le cas pour le petit peuple neutre des Méliens, qui fut anéanti par l'Athènes antique lors de la guerre du Péloponnèse,3 ou pour le royaume neutre d'Hawaï, qui fut renversé et annexé par les Etats-Unis dans les années 1890.4

«Pour que l'approche de la sécurité neutre fonctionne, les neutres armés ont besoin d'une structure d'incitation viable vis-à-vis des autres puissances et doivent conserver un potentiel de dissuasion indépendant, tout en restant en deçà du seuil constituant une menace offensive pour la sécurité d’autrui.»

Pour que l'approche de la sécurité neutre fonctionne, les neutres armés ont besoin d'une structure d'incitation viable vis-à-vis des autres puissances et doivent conserver un potentiel de dissuasion indépendant, tout en restant en deçà du seuil constituant une menace offensive pour la sécurité d’autrui. Ils doivent éviter le dilemme sécuritaire dans lequel leur préparation militaire pourrait être considérée par leurs adversaires comme une menace potentiellement offensive et déclencher la logique des frappes militaires préventives visant à les désarmer.

Ce dernier point a été l'une des principales raisons pour lesquelles la Suède a renoncé à son programme nucléaire pendant la guerre froide. Stockholm était consciente que l'acquisition d'armes nucléaires pourrait augmenter la probabilité d'une frappe préventive soviétique au lieu de protéger l'indépendance du pays.5

La sécurité par la défense collective

La sécurité par la défense collective repose en revanche sur la logique du «gros bâton», qui se traduit par la supériorité numérique. Le principe des trois mousquetaires «un pour tous, tous pour un» signifie que les Etats membres d'une alliance s'efforcent de maximiser la dissuasion afin de dissuader les agresseurs potentiels par leur puissance combinée. Cela implique également le partage des capacités militaires, y compris des systèmes d'armement pouvant aller jusqu'aux armes nucléaires. Le «parapluie nucléaire» que les Etats-Unis étendent explicitement à la Corée du Sud, au Japon et à leurs partenaires européens de l'OTAN est un élément essentiel des alliances modernes.

L'approche de la défense collective, en particulier par le biais d'alliances importantes et intégrées sur le plan opérationnel telles que l'OTAN, vise à projeter une puissance telle qu'aucun adversaire ne puisse même songer à entrer en conflit avec elle.

Les avantages des alliances sont évidents, car elles multiplient considérablement la capacité de dissuasion d'un Etat. Cependant, elles comportent également le risque d'«emprisonnement», c'est-à-dire qu'un Etat pourrait être contraint d'entrer en guerre contre son gré pour aider un autre membre de l'alliance, même si cet allié a agi de manière imprudente. Les alliances peuvent également être utilisées par des membres puissants pour surveiller le comportement des membres plus petits.

Le Pacte de Varsovie, par exemple, a attaqué à deux reprises ses propres membres (la Hongrie et la Tchécoslovaquie) afin de rétablir les forces politiques locales favorisées par l'Union soviétique. Dans le pire des cas, des alliances opposées mais interdépendantes peuvent même conduire à des guerres massives, déclenchées par des événements relativement mineurs qui provoquent des réactions en chaîne et entraînent les Etats les uns après les autres dans le conflit. La Première Guerre mondiale est l'exemple type d'une situation où un grand nombre d'Etats peuvent être entraînés «comme des somnambules» dans une guerre des alliances.6

La neutralité coopérative n'est pas une option

En principe, ces deux stratégies sont incompatibles non seulement parce que leurs principes fondamentaux s'annulent mutuellement (bien qu'il n'existe aucune loi internationale sur ce sujet, il est largement admis qu'un Etat militairement neutre ne peut pas faire partie d'une alliance militaire), mais aussi parce que, lorsqu'elles sont combinées, elles créent de dangereuses faiblesses stratégiques.

Si un Etat sans garanties de sécurité de la part d'autres pays coopère avec une alliance, il devient la première cible d'un ennemi potentiel de cette alliance, car il est le maillon le plus faible et le moins protégé de la structure. Les adversaires sont également encouragés à attaquer les nations non alliées si leur coopération avec une alliance ennemie devient importante pour cette alliance.

Si, par exemple, une attaque contre un pays neutre peut nuire à l'ensemble de l'alliance parce que les systèmes militaires sont intégrés et qu'un coup porté à l'infrastructure du pays neutre affaiblira les capacités militaires de l'alliance, une frappe préventive contre le pays neutre coopérant devient alors une option séduisante.

«En effet, le droit international interdit aux Etats neutres de mettre leurs infrastructures (y compris la transmission par ondes radio) à la disposition des puissances belligérantes, car il s'agit d'un acte non neutre qui aide une partie au conflit et rend plus probable qu'un adversaire attaque l'Etat neutre afin d'affaiblir son ennemi principal.»

En effet, le droit international interdit aux Etats neutres de mettre leurs infrastructures (y compris la transmission par ondes radio) à la disposition des puissances belligérantes,7 car il s'agit d'un acte non neutre qui aide une partie au conflit et rend plus probable qu'un adversaire attaque l'Etat neutre afin d'affaiblir son ennemi principal. On pourrait (et on devrait) en dire davantage sur la notion de «neutralité bienveillante», ses risques et ses implications juridiques,8 mais par souci de concision, nous poursuivrons notre analyse en examinant la position de la Suisse par rapport à ces deux options en matière de sécurité.

OTAN, neutralité ou les deux?

A première vue, il semble clair que la Suisse continue de miser sur la sécurité par la neutralité. Des sondages d'opinion annuels montrent qu'une majorité écrasante de 91% est favorable au maintien de la neutralité.9 Cependant, ces mêmes sondages révèlent également des divergences importantes quant à ce que cette neutralité devrait impliquer – et ne pas impliquer. En ce qui concerne la coopération militaire avec l'OTAN, 52% des personnes interrogées estiment que la Suisse devrait coopérer plus étroitement avec l'alliance.10 30% des personnes interrogées sont même d'accord avec l'affirmation «La Suisse devrait adhérer à l'OTAN», ce qui signifie qu'au moins 21% des personnes interrogées ne considèrent pas l'OTAN et la neutralité comme incompatibles.11

Il existe également des différences considérables au sein de la population. En général, les jeunes sont moins favorables à l'OTAN (ou à une coopération avec celle-ci), tandis que les personnes interrogées ayant un niveau d'éducation plus élevé sont plutôt favorables à une coopération, voire à une adhésion.

Mais d'autres forces politiques orientent le débat dans différentes directions. Ainsi, une étude récente d'Ejdus et Hoeffler12 montre que les élites des pays neutres et non alignés ont tendance à avoir une opinion beaucoup plus positive de l'OTAN et de l'intégration transatlantique en général que ne le laissent supposer les sondages d'opinion. Les auteurs constatent que «les préférences atlantiques sont non seulement largement répandues parmi les élites politiques, mais aussi systématiquement cachées au public dans tous les pays européens militairement neutres» et que «les élites n'expriment souvent pas ces préférences publiquement, car la population est profondément enracinée dans la politique de neutralité militaire ou de non-alignement de leur nation».13

Cette étude se concentre certes uniquement sur la Suède, l'Autriche et la Serbie, mais il n'est pas exagéré d'en conclure que les décideurs de l'administration fédérale suisse pourraient également voir l'OTAN sous un jour plus favorable que le grand public. Après tout, le Conseil fédéral n'a jamais caché ses préférences.

Au cours des trois dernières années, il a publié quatre études dans lesquelles il s'est prononcé en faveur d'une coopération plus étroite avec l'OTAN et l'UE en matière de sécurité, ce qui est sans précédent dans l'histoire de la Suisse. Le rapport de 2022 stipule:

«La Suisse aspire depuis longtemps à disposer, en cas d'attaque armée, d'options lui permettant soit de se défendre de manière indépendante, soit d'organiser sa défense en collaboration avec d'autres Etats. Afin d'améliorer les capacités de coopération militaire et d'accroître ainsi la liberté d'action de la Suisse, l'armée doit se préparer en temps utile à la coopération internationale. Les possibilités de coopération doivent être exploitées afin d'améliorer les capacités de défense tout en préservant la neutralité14

Le rapport de 202415 recommande même l'interopérabilité des systèmes militaires suisses avec les normes de l'OTAN par une «participation progressive» aux processus de certification de l'OTAN. Il est proposé que l'OTAN «évalue et certifie, si nécessaire, l'interopérabilité et les capacités militaires de certaines unités de l'armée suisse», ce qui signifie que la Suisse ne se contenterait pas de s'efforcer d'être compatible avec l'OTAN, mais veillerait déjà à ce que l'OTAN elle-même certifie son interopérabilité.

«Il ne fait aucun doute que la vision du Conseil fédéral exprimée dans ce rapport est de transformer les Forces armées suisses en une composante opérationnelle de la capacité militaire globale de l'OTAN.»

En outre, le rapport propose que la Suisse participe au projet «Federated Mission Networking» (FMN) de l'OTAN, dont l'objectif est «d'intégrer les systèmes de commandement et de communication des forces armées dans un système de commandement multinational unique afin de créer une capacité de commandement intégrée au niveau technique». Et comme «le FMN est considéré comme la pierre angulaire de toute coopération avec l'OTAN [...], la participation de la Suisse est nécessaire.» Il ne fait aucun doute que la vision du Conseil fédéral exprimée dans ce rapport est de transformer les Forces armées suisses en une composante opérationnelle de la capacité militaire globale de l'OTAN.

Le paragraphe se termine par la conclusion suivante:

«cette coopération permettrait à la Suisse d'intégrer, si nécessaire, ses propres systèmes dans les systèmes de commandement et de communication de l'OTAN dès le début d'un exercice ou d'une opération commune, que ce soit dans le cadre du maintien de la paix ou de la défense. L'OTAN appelle cela la ‹connectivité jour zéro›, une capacité dont la Suisse doit disposer en cas de besoin.»16

Alors que les détracteurs affirment que cette approche revient à renoncer à la neutralité opérationnelle, le Conseil fédéral17 soutient qu'il se prépare simplement au pire scénario possible, à savoir une attaque armée contre la Suisse. Si cela devait se produire, les exigences juridiques du droit de la neutralité deviendraient de toute façon caduques et le pays pourrait se défendre collectivement. En d'autres termes, le Conseil fédéral préfère préparer le terrain pour une légitime défense collective, mais uniquement si cela s'avère nécessaire.

Le quatrième et dernier rapport d'une commission d'étude mise en place par le Département de la Défense est également arrivé à la conclusion que la coopération avec l'OTAN et l'UE «doit aller au-delà de la coopération actuelle en raison de la nouvelle situation en matière de menaces. La coopération devrait se concentrer sur la défense commune [souligné par l’auteur].»18

Au cours des deux dernières années, des efforts concrets ont été déployés pour mettre en œuvre ces orientations politiques, notamment des réunions de haut niveau entre des représentants militaires de la Suisse et de l'OTAN,19 un accord sur l'ouverture d'un bureau de liaison de l'OTAN à Genève (même si ce n'est pas officiellement pour établir des contacts avec le gouvernement à Berne),20 une déclaration d'intention concernant l'adhésion de la Suisse à l'initiative européenne Sky Shield21 et, le plus visible, la participation de la conseillère fédérale Viola Amherd à une réunion du Conseil de l'Atlantique du Nord (le bras politique de l'OTAN) – une première dans l'histoire de la Suisse.22

Ni décision définitive, ni politique partisane

Mais si le rapprochement politique et militaire entre la Suisse et l'OTAN est évident et indéniable, d'autres forces au sein du processus politique du pays s'efforcent de modifier cette orientation.

Non seulement le Conseil fédéral a lui-même publié en octobre 2022 un rapport sur sa politique de neutralité dans lequel il conclut que les principes définis en 1993 restent valables et constituent la base de sa prise de décision23 mais, à l'été 2024, le Conseil national (la chambre basse du Parlement) a adopté une motion qui interdirait à la Suisse de participer à des missions de l'OTAN exigeant une légitime défense collective au sens de l'article 5 de la Charte de l'OTAN. La justification de la motion, telle que présentée par la Commission de la politique de sécurité du Conseil, est la suivante:

«Il est dans l'intérêt de la Suisse de renforcer la coopération avec l'OTAN dans certains domaines, notamment la promotion militaire de la paix, la défense contre les cyberattaques ou l'interopérabilité des systèmes, afin d'être préparée à une éventuelle coopération future en cas d'urgence. Dans le même temps, la commission reconnaît la nécessité d'une clarification quant au respect de la neutralité et du non-alignement de la Suisse. La neutralité et le non-alignement de la Suisse restent également, en ces temps, des instruments importants et utiles de la politique de sécurité et de la politique étrangère de la Suisse24

Le succès de la proposition au Conseil national a été rendu possible par le réalignement politique des fractions sceptiques à l'égard de l'OTAN au sein des partis de gauche et de droite.25

La proposition n'a toutefois pas convaincu le Conseil des Etats (la petite chambre), qui l'a rejetée par 29 voix contre 12 (et 4 abstentions).26 Elle sera à nouveau examinée par la grande chambre. Le débat au Conseil des Etats montre qu'il n'y a pas de consensus parmi les parlementaires sur la question de savoir dans quelle mesure une coopération avec l'OTAN est compatible ou non avec la neutralité de la Suisse.27

Cette tendance est également visible à d'autres niveaux de la société, notamment sous la forme de l'initiative populaire fédérale «Sauvegarder la neutralité suisse», qui demande la tenue d'une votation populaire au niveau national. En cas de succès, l'initiative populaire inscrirait un article détaillé sur la neutralité dans la Constitution suisse. Actuellement, le terme «neutralité» y est mentionné deux fois, sans être précisé.

Dans l'article constitutionnel proposé, la neutralité est définie comme permanente, armée et sans alliance et – pour la première fois dans une neutralité constitutionnelle – il est également stipulé que l'Etat ne prend pas de sanctions économiques contre les parties belligérantes, mais met ses bons offices à disposition pour prévenir et résoudre les conflits.28

Le nombre requis de plus de 100 000 signatures a été déposé à la Chancellerie fédérale en avril 2024. Les débats parlementaires sont attendus pour l'été et l'automne 2025 et la votation populaire au printemps 2026.

Si l'idée a d'abord gagné en popularité grâce au soutien de l'ancien conseiller fédéral Christoph Blocher (UDC), le comité d'initiative qui a rédigé le texte et se prépare au vote n'est affilié à aucun parti politique. Pendant la collecte des signatures, un comité distinct composé d'universitaires, de syndicalistes et de politiciens des partis de gauche et des Verts s'est formé pour soutenir activement l'initiative, tout comme des membres importants du parti communiste.29

Cinq mois plus tard, un autre groupe d'universitaires et de politiciens a publié une contre-proposition à l'initiative, dans laquelle il se prononce en faveur d'une conception beaucoup plus ouverte de la notion de neutralité.30

Il semble évident que le soutien à l'initiative sur la neutralité n'est pas une question de politique partisane, mais plutôt une question de conception de la sécurité et de perception.

* Pascal Lottaz est professeur associé à l'Université de Kyoto, où il étudie la neutralité dans les relations internationales et dirige le réseau de recherche neutralitystudies.com. Il est citoyen suisse et membre de la section internationale du Parti socialiste. Il vit au Japon depuis 12 ans.
Parmi ses ouvrages récents, citons «Sweden, Japan, and the Long Second World War» (Routledge, 2022), «Neutral Beyond the Cold: Neutral States and the Post-Cold War International System» (Lexington Books, 2022) et «Notions of Neutralities» (Lexington Books, 2019). Il a également rédigé des articles sur les «études de neutralité» pour l'Oxford Encyclopedia et sur «la politique et la diplomatie de la neutralité» pour l'Oxford Bibliography. Vous pouvez le suivre sur: https://www.youtube.com/@neutralitystudies

(Traduction «Point de vue Suisse»)

1 «Ein Nato-Beitritt ist ausgeschlossen» (Une adhésion à l'OTAN est exclue), Blick, 19 mai 2022, https://www.blick.ch/video/aktuell/vbs-chefin-im-gespraech-viola-amherd-ueber-die-armee-in-kriegszeiten-id17505351.html

2 La Norvège était déjà prévue pour une invasion par la Grande-Bretagne lorsque Hitler a envahi l'Allemagne.

3 Thucydide, «Histoire de la guerre du Péloponnèse», trad. Richard Crawley, éd. 1874 (Londres: Longmans, 431 av. J.-C.), p. 396-404.

4 David Keanu Sai, «Hawaiian Neutrality: From the
Crimean War to the Spanish-American War», conférence donnée à l'Université de Cambridge, Grande-Bretagne, Centre for Research in the Arts, Social Sciences and Humanities, «Sovereignty and Imperialism: Non-European Powers in the Age of Imperialism», 10-12 septembre 2015.

5 Thomas Jonter, The Key to Nuclear Restraint: The
Swedish Plans to Acquire Nuclear Weapons During the Cold War (Londres: Palgrave Macmillan, 2016).

6 Christopher Clark, The Sleepwalkers: How Europe Went to War in 1914, (Londres: Penguin Books, 2012).

7 Cf. l'article 3 de la Convention de La Haye de 1907.

8 Cf. à titre de référence Luca Ferro et Nele Verlinden, «Neutrality During Armed Conflicts: A coherent approach to third State support to belligerents», Chinese Journal of International Law, n° 17 (2018); Stephen C. Neff, «A Tale of Two Strategies: Permanent Neutrality and Collective Security», in Permanent Neutrality: A Model for Peace, Security, and Justice, éd. Herbert Reginbogin et Pascal Lottaz (Lanham: Lexington Books, 2020).

9 Szvircsev Tresch et al., étude «Sécurité 2024». Tendances dans la formation de l'opinion en matière de politique étrangère, de sécurité et de défense. (Zurich: Académie militaire [MILAK] de l'EPFZ, 2024), p. 55 https://www.newsd.admin.ch/newsd/message/attachments/86738.pdf

10 Szvircsev Tresch et al., étude «Sécurité 2024», p. 46.

11 Szvircsev Tresch et al., étude «Sécurité 2024», p. 42.

12 Filip Ejdus et Catherine Hoeffler, «Crypto-Atlanticism: The untold preferences of policy elites in neutral and non-aligned states», Contemporary Security Policy (2023), https://doi.org/10.1080/13523260.2023.2289329

13 Ejdus et Hoeffler, «Crypto-Atlanticism», p. 26.

14 Conseil fédéral, Rapport complémentaire au rapport sur la politique de sécurité 2021 sur les conséquences de la guerre en Ukraine du 7 septembre 2022. https://www.fedlex.admin.ch/eli/fga/2022/2357/fr, p. 33–34.

15 Conseil fédéral, Capacité de défense et coopération (Berne. Confédération suisse, 31 janvier 2024), pp. 23–27. https://www.newsd.admin.ch/newsd/message/attachments/85929.pdf

16 Conseil fédéral, Capacité de défense et coopération, p. 27.

17 «Globalist elites are trying to fool even Switzerland into the Alliance | Alberto Togni» (YouTube, 27 avril 2024). https://youtu.be/U0eDxAX_tDk?si=B-LX6a-yy-NAUH4D

18 Katja Gentinetta, Rapport de la Commission d'étude sur la politique de sécurité (Berne: Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports, 2024), p. 39.

19 «Le chef de l'Armée participe à la réunion des chefs d'état-major de l'OTAN à Bruxelles», communiqué de presse de la Confédération suisse, 18 janvier 2024, https://www.news.admin.ch/fr/nsb?id=99740

20 «Le chef de la Direction du droit international public signe un accord sur le statut juridique du bureau de liaison de l'OTAN à Genève», communiqué de presse de la Confédération suisse, 15 juillet 2024, https://www.news.admin.ch/fr/nsb?id=101857

21 Conseil fédéral, «Le Conseil fédéral décide d'adhérer à l'initiative European Sky Shield», Portail du Gouvernement suisse (2024), https://www.news.admin.ch/fr/nsb?id=100650

22 «Pour la première fois, le ministre suisse de la Défense participe à une réunion du Conseil de l'OTAN», Organisation du Traité de l'Atlantique Nord, 22 mars 2023, https://www.nato.int/cps/en/natohq/news_213105.htm?selectedLocale=en

23 Conseil fédéral suisse, «Clarté et orientation de la
politique de neutralité: Rapport du Conseil fédéral en réponse au postulat 22.3385 de la Commission de politique extérieure du Conseil des Etats du 11 avril 2022», (Berne, 26 octobre 2022). https://www.newsd.admin.ch/newsd/message/attachments/73616.pdf

24 Commission de la politique de sécurité, «Se recentrer sur les attributions constitutionnelles de l'armée. Pas de participation aux exercices d’alliance de l'OTAN», Conseil national, 13 juin 2024, https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/amtliches-bulletin/amtliches-bulletin-die-verhandlungen?SubjectId=65056

25 Andrea Fopp, «Comment les pacifistes de gauche et les partisans de la neutralité veulent à tout prix isoler la Suisse», Neue Zürcher Zeitung, 24 juin 2024, https://www.nzz.ch/schweiz/landesverraeterin-pazifisten-erleben-harte-zeiten-und-suchen-ausgerechnet-die-naehe-zur-svp-ld.1834557

26 «Motion SiK-N. Concentration sur les tâches constitutionnelles de l'armée. Pas de participation aux exercices de l'OTAN en cas de recours à l'alliance!» Conseil des Etats, 18 septembre 2024. https://www.parlament.ch/de/ratsbetrieb/amtliches-bulletin/amtliches-bulletin-die-verhandlungen?SubjectId=65557

27 Ibid.

28 Association pour la sauvegarde de la neutralité suisse. «L'initiative sur la neutralité», https://neutralitaet-ja.ch, consulté le 26 août 2024.

29 Pascal Lottaz, Verena Tobler Linder et Wolf Linder, «Appel des partis de gauche et des Verts: Oui à l'initiative sur la neutralité!», neutralitystudies.com, 10 janvier 2024. https://schweizer-standpunkt.ch/news-detailansicht-de-schweiz/aufruf-von-linken-und-gruenen-ja-zur-neutralitaetsinitiative.html
Pour connaître les positions du Parti communiste suisse, voir www.partitocomunista.ch

30 Cottier et al., «Manifeste Neutralité 21», Association La Suisse en Europe. 29 mai 2024. https://suisse-en-europe.ch/neutralitaet-21/

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